Séminaire ETAPE n° 22 : Les libertaires et le Commun

Séance à partir d’un texte du sociologue Christian Laval, professeur à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense, co-auteur avec le philosophe Pierre Dardot de Commun. Essai sur la révolution au XXIe siècle (La Découverte, 2014, réédition La Découverte/Poche, 2015)

 

  • Rapporteur « compréhensif » : Wil Saver, militant d’Alternative Libertaire et co-animateur du groupe ETAPE
  • Rapporteur « critique » : Ivan Sainsaulieu, professeur de sociologie à l’Université de Lille 1
  • Une contribution de Philippe Corcuff, sociologue, membre de la Fédération anarchiste

Texte de Christian Laval

Commun : de quelques rapports que nous entretenons avec la « tradition libertaire »

Par Christian Laval

Répondre à la question des liens entre « libertaires » et « commun » supposerait que l’on identifie clairement une doctrine ou un courant politique homogène et que l’on cherche une proximité ou une distance entre cette doctrine ou ce courant avec ce que nous tenons pour principe politique révolutionnaire émergent. Je prendrai une autre voie. Ce que nous avons voulu faire, c’est saisir dans ses multiples dimensions ce principe du commun, doublement articulé comme forme d’autogouvernement et comme prévalence du droit d’usage sur le droit de propriété, tel qu’il se dégage des luttes, mobilisations et expérimentations contemporaines. Car pour Pierre Dardot et moi-même, ce qui importe n’est pas tant l’affiliation à tel ou tel courant historiquement constitué et codifié dans un corpus, mais la configuration nouvelle des luttes et des discours pouvant donner lieu à la constitution d’un nouvel imaginaire et à une gamme de pratiques ayant une rationalité semblable, que nous appelons « raison du commun » ou « principe du commun ». Ce principe n’est pas une abstraction vide. Il renvoie à des institutions concrètes que nous appelons des « communs ». Cela veut dire que les activités sociales de toute nature doivent pouvoir trouver des formes institutionnelles qui ont la double caractéristique de la démocratie et de la supériorité normative des usages collectifs sur l’appropriation privée. La révolution du commun, qui a commencé, ne prendra toute sa portée que lorsque dans tous les secteurs on passera de la domination néolibérale de la forme « entreprises » à la généralisation de la forme « communs ».

Pour étayer nos propos, nous avons, de la façon la plus libre, puisé dans l’histoire politique et philosophique ce qui pouvait nous servir de repères quant à une généalogie des figures du commun. Ce qui nous a amené à donner une certaine importance – ce qui était déjà le cas dans notre livre sur Marx d’ailleurs- à un certain nombre de propositions, de thèses et d’analyses qui sont inscrites dans cette tradition « libertaire ». C’est surtout sinon essentiellement Proudhon qui nous a intéressés. Plus encore, c’est à son endroit que nous nous sentons endettés. Ce qui ne veut pas dire que nous soyons de quelque manière des disciples. Il convient de comprendre qu’il y a là une filiation qui dépasse de loin le camp des « libertaires ».

La « force collective »

Proudhon nous intéresse sous de multiples aspects, et depuis assez longtemps. Sa théorie de la force collective comme son analyse de la captation de cette même force collective par la propriété et l’État sont à nos yeux des références fondamentales. Nos travaux ont toujours eu pour intention assez explicite de lui rendre justice sur un certain nombre de ses apports philosophiques et politiques. Dans Commun, c’est plutôt sous un angle critique et de façon indirecte que nous faisons référence à la théorie proudhonienne de la force collective, en mettant en question la manière dont les théories de Hardt et Negri supposent une spontanéité de la coopération sociale donnant déjà consistance sociale au communisme en faisant fi du rôle structurant du capital sur la coopération productive. C’est en effet pour nous revenir en arrière de Marx si l’on pense à l’usage très particulier qu’il fait (sans le dire d’ailleurs) de la théorie proudhonienne au chapitre XIII, IVe section du Livre I du Capital.

Il y a chez Proudhon une idée absolument fondamentale, qui est que toute production est œuvre commune et que la division du travail « à la Smith » n’est qu’une modalité très particulière d’une donnée générale, à savoir que la coopération est la base de toute activité économique, sociale et politique. Il n’est pas le seul à le dire. Vingt ans avant lui les coopérativistes anglais l’avaient dit de façon très explicite, mais Proudhon a une façon radicale de poser ce principe de la force collective et d’en tirer une sociologie et une philosophie qui mérite d’être reconnue et saluée.

Il y a donc chez Proudhon l’idée de ce que nous nous avons appelé l’agir commun et dont les premières formulations les plus explicites se trouvent bien avant chez des philosophes comme Aristote, que Proudhon d’ailleurs connaissait. « Vivre en commun, c’est agir en commun » écrit Aristote dans l’Éthique à Eudème. Ce dernier précise dans sa Politique que l’être parlant et politique vit avec les autres en mettant constamment en commun ses idées et ses paroles, la communauté (koinon) n’étant que le produit ou l’effet d’une participation à cette mise en commun. Ce que retrouve Proudhon, mais avec lui tout le socialisme naissant et une partie de la sociologie, c’est cette idée dynamique de la société comme production permanente issue d’une activité collective. C’est ce que Jaurès appellera joliment  la « grande action collective ».

Nous nous raccordons donc à une tradition qui est celle de l’agir commun, et qui est évidemment liée à l’émergence et plus tard à la résurgence de la démocratie comme forme politique de l’agir commun. De façon restreinte à Athènes, de façon élargie à l’époque du socialisme naissant. Cette idée du commun comme agir s’oppose évidemment à toute l’histoire archi-dominante qui a attribué pratiquement à des institutions politiques, religieuses puis économiques le monopole du « bien commun ». Car cette histoire est marquée par l’opposition constante à la conception démocratique de la société comme mise en commun et production commune. Toutes les grandes doctrines de philosophie politique, de théologie politique ou d’économie politique sont des doctrines de la dépossession, de l’appropriation du commun comme agir par les institutions politiques, théologiques et économiques. C’est précisément ce que Proudhon a saisi, comme on le voit très bien à la lecture de son ouvrage majeur de 1858, De la justice dans la Révolution et dans l’Église.

Communauté, communisme et commun

Proudhon nous permet de faire une distinction majeure entre des versions à beaucoup d’égards contraires de ce que l’on peut et doit entendre par « commun ». Ce point est décisif. Il oppose la force collective à la transcendance propriétaire et étatique, la coopération à la communauté, laquelle a trouvé dans le « communisme » sa forme théorique et politique nouvelle. Proudhon est certainement l’auteur qui a le mieux fait ressortir le caractère nouveau du socialisme, à partir d’une théorie de la société comme force collective. C’est à Proudhon que l’on doit, après les saint-simoniens, l’attaque la plus vive et la plus constante contre l’utopie communautaire considérée comme une régression vers un âge ancien de l’humanité. Dès son Premier mémoire sur la propriété en 1840, Proudhon fait du communisme une réaction archaïsante au triomphe insupportable de l’ordre propriétaire. Loin d’en être le dépassement, la théorie politique de la communauté ne fait que cultiver une nostalgie impuissante pour un ordre antérieur et révolu de l’humanité.

Sa critique de la communauté porte principalement sur les contraintes qu’elle fait peser sur la personnalité individuelle : « l’irréparabilité de ses injustices, la violence qu’elle fait subir aux sympathies et aux répugnances, le joug de fer qu’elle impose à la volonté, la torture morale où elle tient la conscience, l’atonie où elle plonge la société, et, pour tout dire enfin, l’uniformité béate et stupide par laquelle elle enchaîne la personnalité libre, active, raisonneuse, insoumise de l’homme, ont soulevé le bon sens général et condamné irrévocablement la communauté ». La communauté primitive est asservissement de l’individu à une autorité qui est oppression et servitude : « l’homme (…) dépouillant son moi, sa spontanéité, son génie, ses affections doit s’anéantir devant la majesté et l’inflexibilité de la commune ». Phrase étrange quand on sait combien, plus tard, Proudhon fera justement de la commune l’unité de base naturelle de son système fédératif. Mais il faut entendre ici que c’est bien la communauté ancienne, hiérarchisée et « totale » qui est récusée, de même que l’État qui contient pour lui tous les vices de la vieille structure. C’est ce qu’il condamnera dans le « système du Luxembourg », du nom de la commission dirigée par Louis Blanc en 1848, c’est-à-dire l’idée selon laquelle c’est à l’État de contrôler la production. « Le système communiste, écrira-t-il, gouvernemental, dictatorial, autoritaire, doctrinaire, part du principe que l’individu est essentiellement subordonné à la collectivité ». Peu importe ici qu’il ne conçoive pas la modernité de la forme étatique, ce qui nous paraît plus important est l’opposition conceptuelle qu’il fait entre deux formes de « commun » : entre la forme communautaire asservissante et la forme communale comme cadre et expression de la liberté individuelle. C’est ce que Marx ne voit pas chez Proudhon qui à ses yeux reste un « petit-bourgeois » cherchant à concilier des inconciliables. En réalité, Proudhon conçoit mieux la voie propre du socialisme, celle d’un ordre nouveau qui ne reconduirait pas les vieilles formes de domination holistique. La grande « invention » de Proudhon, est double, elle est celle de l’autonomie des modes de coordination sociale et celle de l’immanence des règles normatives qui président à l’ordre social, en un mot elle tient à l’existence de la « société » comme forme d’organisation fondée sur une auto-genèse des normes de son propre fonctionnement. Ce « système d’immanence » de la « constitution sociale », de facto antérieure et de jure supérieure à toute constitution politique, est le résultat spontané des relations qui se développent dans la société. D’où la stratégie proudhonienne d’agir sur les relations elles-mêmes de toutes les manières possibles afin de développer et « d’équilibrer » les forces collectives, sources de bien-être et d’épanouissement. La solution proudhonienne est la « commutation » équilibrée contre la communauté despotique, c’est la justice dans l’échange contre l’égalité obligatoire imposée par un pouvoir centralisé niveleur. C’est une nouvelle logique de « faire ensemble » reposant sur la « mutualité » comme principe englobant (« l’idée »), et débouchant sur la « démocratie industrielle » comme moyen de contrer la « féodalité industrielle » par la création de « compagnies ouvrières », capables d’établir entre elles des modes d’échanges équilibrés, et sur un nouveau système politique fédéraliste qui traduira sur le plan institutionnel cette immanence de la norme à la vie sociale, seule façon d’enrayer l’essor « métaphysique » de l’Etat.

Comme l’a montré Pierre Ansart, ce mutuellisme doctrinal est largement issu des pratiques ouvrières des années 1830, en particulier celle des canuts lyonnais. C’est le besoin de solidarité entre ouvriers, c’est la lutte de résistance contre la pression de la concurrence et le chantage des négociants qui les poussent à vouloir créer des liens de solidarité pour ne pas être divisés face au poids de la « féodalité industrielle » et à l’arbitraire des négociants qui, par le monopole de leur accès au marché, imposent des prix bas aux producteurs.

Une société d’individus coopérant

Il n’est évidemment pas question de promouvoir aujourd’hui un « proudhonisme » à la manière d’une doctrine complète, à la fois scientifique et politique, comme on a pu fabriquer jadis un « marxisme » jouant sur tous les registres à la fois. Il convient plutôt de ressaisir un mouvement de pensée qui pour être essentiellement créatif ne cesse pas de s’appuyer sur une profonde compréhension du « social » comme dynamisme normatif issu de la coopération inter-individuelle. C’est sous cet angle que Proudhon nous aide à penser aujourd’hui l’émergence du commun comme principe politique, dans un contexte qui, évidemment, n’a plus grand chose à voir avec l’état de l’économie du milieu du XIXe siècle. Ce qui en fait, à nos yeux, l’actualité est le dépassement de l’opposition entre individualité et communauté, et sur le plan plus sociologique, de l’opposition entre individualisme et holisme.

Pour Proudhon, la liberté chez les Modernes, pour reprendre la formule dogmatique de Constant, ne peut s’entendre comme repli sur la vie privée. Elle est à définir non comme séparation de la vie sociale mais comme capacité à développer des « initiatives » prises seul ou à plusieurs. La liberté sociale est toujours « composée », ce qui veut dire qu’elle passe par la capacité de se lier aux autres et d’agir avec eux. Pour Proudhon, à la différence de Marx, le capital ne produit pas les bases de la coopération future. De la nécessité ne sort pas la liberté. La liberté sort d’elle-même, soit de la capacité de créer des formes autonomes de production et d’échange. Pour le dire autrement, et de façon assez anachronique, l’alternative à la propriété et à la concurrence n’est pas la communauté mais la coopération. Cette dernière compose certes une totalité irréductible à ses éléments mais sans se cristalliser en transcendance extérieure aux éléments composés. Le principe de la fédération qui structurera la vie sociale dans son ensemble, sera de même type : il mettra en relation des foyers différenciés mais sans les envelopper et les subordonner dans une hiérarchie gouvernementale.

L’institution de la force collective

Proudhon n’est pas seulement celui qui « découvre » la force collective à l’origine de la richesse des sociétés. C’est aussi celui qui réfléchit en termes d’institution alternative à la propriété privée et à la propriété d’État. En d’autres termes, c’est l’un des premiers théoriciens de l’institution de l’agir commun. Proudhon lutte sur deux fronts à la fois, puisqu’il condamne aussi l’individualisme libéral qui a perverti le droit. Contre l’« universalisme », qu’il soit traditionaliste ou communiste, pour lequel la communauté n’est qu’un super-individu qui absorbe toutes les personnalités singulières, et contre l’individualisme, qui ne voit dans l’individu qu’un être abstrait, isolé des relations sociales, il faut saisir la société comme un système complexe de relations et trouver une forme d’organisation qui corresponde à la nature même de ce système : « L’humanité comme un homme ivre, hésite et chancelle entre deux abîmes, d’un côté la propriété, de l’autre la communauté : la question est de savoir comment elle franchira ce défilé, où la tête est saisie de vertiges et les pieds se dérobent. » Comment échapper à ce balancement tragique entre propriété privée et propriété communautaire, entre l’« hypothèse individualiste » et l’« hypothèse communiste » ? La réponse qu’il apporte est des plus importantes. C’est par le droit social, le droit qu’invente la société, par l’institution que la société se donne à elle-même, que l’on peut dépasser l’antinomie.

Pensant la société future sous un angle résolument juridique et institutionnel, Proudhon écrit : « La civilisation est le produit du droit. » Dans De la Capacité politique des classes ouvrières, il affirme que l’infériorité des ouvriers réside dans leur ignorance de ce grand fait social qu’est la création juridique de nouvelles formes d’institution. Or c’est par le développement d’un droit économique et social qui leur est propre que les ouvriers trouveront la voie de leur libération. Comme le souligne Georges Gurvitch, interprète scrupuleux de la pensée proudhonienne, si la vie sociale est avant tout un tissu de relations les plus diverses, le droit, « chose capitale de la société », est la base de toute refondation sociale. Il s’agit de construire un « ordre juridique de la vie en commun », extra-étatique, qui réglera les rapports entre les individus sociaux, un droit qui ne s’imposera pas d’un coup mais se développera progressivement à partir du sol même de la société. Si un monde nouveau est possible, il ne peut se créer qu’à partir d’institutions établies sur les bases d’un droit social, c’est-à-dire d’un droit créé par la société et pour la société, en ceci différent de la tradition juridique d’origine romaine qui a fait du législateur la source de la loi. La ligne du Proudhon juriste est d’assurer la prééminence de la souveraineté du droit social sur la souveraineté étatique. Dans la dernière partie de l’œuvre, la constitution fédérale qu’il imagine obéit à l’idée que l’État n’est jamais ou ne devrait jamais être autre chose qu’une coordination d’unités locales ou fonctionnelles. Ce droit social qui renvoie à l’existence d’une société comme ensemble de relations doit être considéré comme supérieur au droit public de l’État et au droit privé de la propriété. Il leur est antérieur et a des sources incontestables dans l’existence d’une communauté sociale qui préexiste à toute constitution politique. Forme juridique de la nouvelle démocratie ouvrière, il se fonde sur un droit social coutumier fondamental qui organise la société à partir de ces groupements élémentaires, qu’il s’agisse de la famille, de la commune ou de l’atelier.

Le droit « redonne à la société à nouveau pleine possession de ses forces collectives originaires ». Cette récupération de la force collective est le véritable but à poursuivre, ce que n’ont pas compris la plupart des communistes et socialistes. Il s’agit pour Proudhon de faire cesser le « scepticisme juridique » des socialistes et des communistes, non pour des motifs purement théoriques, mais pour des raisons pratiques. La négation du droit aboutit au despotisme communiste.

Il convient d’organiser par le droit la force collective sans écraser l’initiative individuelle. La grande tâche du socialisme proudhonien est de la faire reconnaître et de l’organiser comme réalité sociale spécifique. Contre Louis Blanc, Proudhon montre que ce n’est pas d’en haut, par l’État, que la révolution va s’opérer, mais par le bas. Comme l’écrit Bouglé, qui résume la pensée de Proudhon, « il suffit que les citoyens s’entendent directement pour régler les conditions de l’échange égal. Une sorte de révolution moléculaire, une auto-régénération de la société civile s’opèrera ainsi, qui rendra inutiles toutes les reconstructions rêvées pour la société politique ».

C’est donc une nouvelle voie qu’il faut emprunter, celle de la « constitution sociale », contre l’« idée gouvernementale ». Pas de « plan du communisme », pas d’Idée utopique ou de grand principe moral – « l’attraction » pour Fourier ou le « dévouement » pour Cabet ou Louis Blanc –, mais une organisation juridique de la force de la collectivité. La méthode consistera à partir des rapports sociaux et des forces économiques, comme la division du travail ou la concurrence, pour aller vers la justice sociale et l’organisation du travail. C’est ce que désigne chez Proudhon l’expression de « socialisme scientifique » dans Qu’est-ce que la propriété ? Il ne s’agit pas de tout inventer à partir de rien, mais de s’en tenir à la vie même de l’organisme social qui réclame un règlement, il s’agit de partir des activités de travail, de production et d’échange, pour réaménager la société selon un droit nouveau issu des pratiques et des relations concrètes entre les individus, les groupes et les fonctions.

La « constitution sociale »

La constitution sociale n’est rien d’autre que l’auto-organisation juridique de la société qui, partant du constat des droits particuliers des différents groupements, en fait un droit commun formalisé des co-producteurs de toute la société. Les groupements de producteurs, de consommateurs, les mutualités, les copropriétés, les associations, les services publics secrètent un droit autonome et spécifique qui, tous ensembles, forment un ordre juridique propre qu’est la constitution sociale. La constitution sociale est donc la reconnaissance des formes juridiques plus ou moins organisées et explicitées qui régissent selon un principe de mutualité la vie collective à l’intérieur des groupes particuliers aussi bien qu’entre eux. L’action de ces forces collectives conduit à un ensemble de réglementations capables de résoudre les conflits, une sorte de justice commutative complexe et immanente aux rapports sociaux qui s’oppose au droit individualiste et au droit étatiste issus du droit romain traditionnel. Ce droit est en fait un « droit social », selon la formule de Gurvitch, issu des pratiques économiques et sociales, qui vise à organiser la division sociale du travail et à assurer la justice, c’est-à-dire la désaliénation des forces collectives, qu’elles soient économiques, sociales ou politiques, pour autant qu’on puisse distinguer les domaines. Ce qui fait l’originalité de Proudhon, c’est qu’il confie à ce droit social la fonction de la réappropriation des forces exploitées et aliénées.

Comment naît et se développe ce droit social ? Il est issu de la pratique collective, laquelle engendre une raison commune qui, à son tour, donne naissance à des règles sociales. Le droit est une instance intermédiaire, une médiation entre les pratiques et les idées. La société ne produit pas seulement des biens, elle secrète des idées et engendre des règles. Elle génère spontanément sa raison collective et sa conscience juridique propre. Ainsi, l’association effective des travailleurs, leur « co-participation » pratique à la production de cette force collective, conduit les associés co-responsables à combattre la concurrence en développant un idéal propre à leur classe. L’« idée ouvrière », c’est le principe de solidarité qui naît de la pratique co-productrice des travailleurs et qui doit régler, une fois trouvée la forme institutionnelle adéquate, la répartition du produit entre eux.

Le fédéralisme comme organisation sociale et politique

Chez Proudhon, c’est l’ensemble de l’organisation sociale et politique qui doit être remaniée par la constitution sociale. L’association nouvelle est dans un premier temps destinée à remplacer l’État, où l’on retrouve la grande idée saint-simonienne reformulée par Proudhon, selon laquelle le principe d’autorité, le gouvernement et la loi d’État seront remplacés par une nouvelle structuration « horizontalisée » de la société. C’est bien à partir de cette réalité première du travail, véritable substance de la société, que pourra et devra se réorganiser toute la société, selon la formule célèbre qui veut que dans la société future « l’atelier fera disparaître le gouvernement ». Cette idée générale de la révolution est bien résumée par la formule « dissolution du gouvernement dans l’organisme économique », qui constitue le titre de la septième étude de l’ouvrage Idée générale de la révolution. Cependant, à la différence de Saint-Simon, qui se défiait du droit et des juristes, l’unité est produite ici, non par le seul jeu des forces économiques, mais par le droit. « Ce que nous mettons à la place du gouvernement, nous l’avons fait savoir, c’est l’organisation industrielle, ce que nous mettons à la place des lois, ce sont les contrats […], ce que nous mettons à la place des pouvoirs politiques, ce sont les forces économiques, ce que nous mettons à la place des anciennes classes de citoyens, noblesse et roture, bourgeoisie et prolétariat, ce sont les catégories et spécialités de fonctions, Agriculture, Industrie, Commerce, etc., ce que nous mettons à la place de la force publique, c’est la force collective, ce que nous mettons à la place de la police, c’est l’identité des intérêts, ce que nous mettons à la place de la centralisation politique, c’est la centralisation économique. »  Proudhon a toujours marqué sa plus grande défiance à l’égard du gouvernement, qui est incompétent par essence lorsqu’il s’agit de changer la société, comme on l’a vu selon lui en 1848. Le nouveau droit ne sera pas étatique, il sera la forme juridique de l’association ouvrière, de la mutualité et de la fédération. Mais n’est-il nul besoin d’une organisation politique quelconque ? L’économie peut-elle absorber le politique en entier ou peut-on inventer une forme organisationnelle non gouvernementale ?

Quelle forme donner à l’ensemble ? Quelles relations doivent s’établir entre les unités collectives qui composent la société ? Dans ses derniers écrits, Proudhon cherche à faire coexister un ordre économique juridique et un ordre politique spécifique, qui n’en est pas moins homologue à la construction économique. La réponse est fondamentalement « fédéraliste ». Le principe fédéral exige que le pouvoir central soit toujours limité par les réglementations ou les droits des groupements particuliers. La fédération en tant que telle est un frein à la centralisation et à l’aliénation des forces collectives produites par les groupements locaux ou professionnels. Thème qui le hante depuis le début des années 1850, la fédération doit s’entendre chez Proudhon à la fois comme fédération des unités de production et fédération des unités communales. C’est par conséquent un fédéralisme universel appelé à englober tous les pays mais aussi tous les aspects de la société. La construction d’un système fédératif, aussi bien politique qu’économique, doit assurer l’équilibre entre deux formes de démocratie, la démocratie politique des communes et la démocratie industrielle des compagnies ouvrières. Là encore, le droit apparaît comme cette force d’équilibrage. Le principe fédératif permet d’équilibrer le conflit entre deux droits, le droit économique des associations et le droit politique des communes, grâce à la double fédération politique et économique agricole-industrielle.

Cette fédération politique de type communaliste reposant sur des liens de mutualité entre les cités n’annule pas la démocratie économique, elle la complète, elle se surajoute à la « fédération industrielle-agricole », laquelle permet le dépassement du particularisme de chaque groupement économique dans la fédération sans réduire son indépendance. Il semble bien que Proudhon, plutôt que de prolonger son antigouvernementalisme radical, se soit dirigé vers une conception de l’« autogouvernement » politique. L’idéal démocratique n’est-il pas «que la multitude gouvernée fût en même temps multitude gouvernante ?” écrit-il en paraphrasant Aristote.

Le principe du commun et la tradition libertaire

J’en viens maintenant à ce que nous avons repris de cette pensée à de nombreux égards fulgurante. Proudhon est sans aucun doute l’un des théoriciens majeurs de l’institution de la société par elle-même, de l’auto-mouvement (autokinesis) de la société dont la possibilité même est l’invention institutionnelle, ce que nous appelons quant à nous la praxis instituante. Être en dette vis-vis de Proudhon, si je puis dire, c’est faire toute sa place à la question de l’institution, et s’opposer à ce que Bourdieu avait appelé à propos de 68 une « humeur anti-institutionnelle ». C’est aussi tirer un lien entre la percée théorique de Proudhon et ce qu’a pu dire et faire un théoricien comme Castoriadis.

La grande question qui est posée par ces auteurs porte sur l’institution de l’activité collective, mieux : sur l’institution de l’agir commun. Quelles formes institutionnelles faut-il créer qui coïncident avec la définition de la société comme grande coopérative ? On sait que la question du commun telle qu’elle se pose aujourd’hui déborde le seul cadre de la production à laquelle on essayait de donner une forme associative ou coopérative. Et c’est là que Proudhon nous est utile, et surtout le dernier Proudhon, celui du communalisme et du fédéralisme généralisé.

Ce qui est en train de se passer excède et l’associativisme du XIXe siècle et la problématique de l’autogestion des années 70. Ces formes correspondaient à certains types de société et de production. La revendication actuelle des communs définis comme formes institutionnelles reposant sur l’autogouvernement et l’usage collectif des ressources, des connaissances et des espaces concerne un champ considérablement plus vaste que la seule production de biens matériels. Depuis l’habitat, la consommation, les activités de culture, la production des connaissances jusqu’à la question majeure du climat. Cette sorte de dilatation du commun à laquelle on assiste est un signe qui ne trompe pas : c’est toute la forme de l’existence qui est en question, à la mesure de l’extension de la forme de vie capitaliste opérée par le néolibéralisme.

C’est donc vraiment maintenant que l’on peut apprécier la portée imaginante de l’œuvre de Proudhon, l’audace de son imagination politique devant des problèmes inédits qui prend appui sur les pratiques ouvrières de son temps. Nous ne sommes évidemment pas adeptes d’un quelconque « retour à Proudhon » comme il y a eu des « retours à Marx ». Ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Il s’agit de revisiter et de réactiver un certain nombre de propositions comme celle d’un fédéralisme universel pour montrer de quelle alternative elles seraient porteuses en liaison avec cette émergence polymorphe et polyglotte du commun qui caractérise la période. C’est le sens de nos « propositions politiques » à la fin de l’ouvrage Commun. La partie du livre intitulée « Propositions politiques » se termine par une expérience de pensée politique d’inspiration fortement proudhonienne, puisque nous essayons de réfléchir à ce que pourrait être une fédération mondiale des communs.

Vertu de l’imagination politique

« Il est plus facile d’imaginer la fin du monde que la fin du capitalisme ». Cette fameuse phrase de Frederic Jameson nous invite à réfléchir à la place et à la part de l’imagination politique dans nos pratiques. Pourquoi est-ce si important ? L’analyse de la situation est fondamentale, personne n’en doute. Faire la généalogie de notre présent comme disait Foucault est essentiel pour saisir le sens et les enjeux de ce que nous vivons, de ce pour quoi nous luttons. Mais ce n’est pas suffisant. Nous sommes comme privés de futur, interdits d’avenir. Il y a des mouvements, des luttes, des révolutions mais ces processus paraissent encore dispersés dans l’espace et discontinus dans le temps. Est-ce irrémédiable ? Est-ce simplement de la patience qu’il nous faut ? Devrait-on attendre des décennies ou des siècles ? C’est Perry Anderson comme le rappelait Razmig Keucheyan dans un numéro ancien de la Revue internationale des livres et des idées qui expliquait qu’un scénario historique possible était le long délai entre la révolution anglaise et la révolution française. Faut-il donc attendre un siècle et demi pour renverser le cours des choses ?

Ce n’est pas seulement de patience que nous devrions nous armer, mais d’imagination politique. L’imagination politique est importante devant ce qui semble être une sorte d’anomie politique, de vide politique, qui est due à une raison que nous connaissons  : la puissance pratique autant qu’idéologique du néolibéralisme, qui trouve dans les processus de mondialisation de multiples leviers et points d’appui, ce qui pousse à la résignation, à l’impuissance et finalement au ressentiment haineux et au nationalisme.

Il s’agit donc de ne plus nous en tenir à des diagnostics ou à des mesures immédiates d’urgence, mais vraiment de repenser avec tous les outils à portée de main ce que nous pourrions le monde d’après, si après il y a là. Ouvrir et élargir l’horizon des possibles, pour reprendre l’expression en usage, voilà la tâche de l’époque. Le temps est venu, et on le voit un peu partout dans le monde, de passer à autre chose en mobilisant l’imagination politique. Ce que nous pouvons faire, donc, ce n’est pas d’inventer une utopie, mais d’imaginer une société à partir de pratiques qui sont déjà là, qui ne sont pas encore pensées dans leur originalité et leur portée. Non pas seulement en faire le récit, mais essayer de dégager leur signification et leur cohérence possible pour en faire de façon synthétique un projet et un principe. C’est ce que Pierre Dardot et moi-même avons cherché à faire dans le livre Commun, en nous inscrivant dans une tradition de réhabilitation de l’imagination.

Dans l’ouvrage, nous suivons d’assez près la démarche de Castoriadis, qui nous semble d’un grand appui pour nous aider à surmonter les difficultés présentes. Mais, comme je l’ai dit, Proudhon a eu avant lui une démarche assez semblable. L’émancipation ne vient que de l’action. Une société libre ou autonome ou démocratique, peu importe le terme, doit inventer elle-même le chemin qui mène à sa liberté. Mais elle ne peut le faire que si elle fait fonctionner la faculté imaginante par la voie(x) poétique, pratique et théorique. Il ne s’agit pas d’inventer de toute pièce une société idéale, mais d’imaginer et de mettre en place des institutions permettant à cette société de s’inventer et de se réinventer sans cesse. Castoriadis appelait cela une société autonome, ce qui n’est jamais que la formule d’une démocratie radicale, c’est-à-dire bien comprise. Cela suppose donc de « projeter » un certain style de société, qui ne serait plus complètement asservie à son institué, mais qui pourrait laisser place à la praxis instituante. Castoriadis expliquait justement que « nous ne pouvons viser qu’à changer le rapport ente la société instituante et la société instituée. Nous ne pouvons donc vouloir qu’une société qui condamne une fois pour toute le règne de l’institué et qui cherche le rapport correct, le rapport juste instituant/institué. » C’est la définition même que l’on peut attendre d’une société qui assume son auto-institution. Or, c’est ce qui est le plus précieux dans la tradition « libertaire ». Et c’est justement ce qui renaît aujourd’hui sous le nom de « commun », un nom à la fois très ancien et très neuf.

Christian Laval est professeur de sociologie à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense, co-auteur notamment avec le philosophe Pierre Dardot de Commun. Essai sur la révolution au XXIe siècle (La Découverte, 2014, réédition La Découverte/Poche, 2015).

Texte de I. Sainsaulieu

Le Commun : imaginaire ou mouvement réel qui abolit l’ordre existant ?

Le livre Commun. Essai sur la révolution au XXIe siècle de Pierre Dardot et Christian Laval (La Découverte, 2014) s’attache à définir le concept de Commun qui apparaît comme revendication dans divers mouvements alternatifs. Auteurs prolixes, Pierre Dardot et Christian Laval n’en sont pas à leur premier ouvrage imposant. Après avoir montré ensemble les complicités entre l’Etat et le marché (La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibérale, La Découverte, 2010), puis comment Marx élabore sa pensée (Marx, Prénom : Karl, Gallimard, 2012), ils en viennent ici à s’interroger sur l’actualité du Commun défini comme principe antithétique aux règnes du Capital et de l’Etat.

Un Commun émergent face au capitalisme

Le Commun est d’abord dit « émergent » et actuel, en tant que revendication sociale « paradigmatique » face au mouvement mondial de marchandisation et de privatisation. La croissance de la propriété privée intellectuelle (les brevets), indispensable aux monopoles, conduit à une « bio-piraterie » préjudiciable pour les peuples dépossédés (ainsi Monsanto détient-il 95% de la production du coton en Inde). Les auteurs voient là un effet de l’extension de la violence du capital : loin de se limiter à la période de « l’accumulation originelle » définie par Marx, celle-ci, disait Rosa Luxemburg, est un acte permanent contre les activités non capitalistes.Pierre Dardot et Christian Laval avancent que, « loin d’être une pure invention conceptuelle, le commun est devenu le principe effectif des combats et des mouvements » de résistance au capitalisme (p. 16). Ces combats visent à préserver l’accès aux ressources naturelles (l’eau, la terre, le gaz…) face aux politiques publiques dictées par des multinationales prédatrices et exportatrices. Ils sont parfois victorieux, comme à Cochabamba, où l’Etat a dû renoncer à la privatisation de l’eau. Les auteurs montrent le côté offensif, généraliste, rassembleur et démocratique de cet étendard du commun qu’ils veulent reprendre à leur compte en le redéfinissant. Les luttes en question mettent en mouvement des acteurs multiples, que les auteurs se contentent d’identifier de façon pragmatique : selon les contextes, ils évoquent les usagers (pour rendre communs les services publics), les ouvriers (pour les usines récupérées en Argentine), les électeurs et citoyens (pour le contrôle de l’eau à Naples ou de l’espace public à Istanbul), les citoyens insurgés (dans les bidonvilles de Rio), les communautés indiennes et les paysans (pour la terre en Bolivie ou en Inde)… Le terme de classe figure plutôt dans l’exposé d’analyses historiques classiques.

Du mouvement social à la reconceptualisation

En écho au mouvement social, il s’agit de faire œuvre théorique, « de refonder le concept de commun de façon rigoureuse » (p. 17), dans une perspective pluridisciplinaire héritière de Marx (« être héritiers de ne signifie pas être les héritiers », p. 16), mais aussi de Proudhon (à propos des coopératives, du fédéralisme) et de Castoriadis (à propos du rôle instituant du politique). S’il est tributaire du communisme, le Commun rejette désormais tout devenir étatique absolutiste. Le modèle de l’association démocratique des producteurs est mis en avant ; il se distingue à la fois du socialisme communautaire et de l’Etat bureaucratique, également despotiques.
Qu’est-ce que le Commun ? Après un chapitre d’érudition gréco-latine sur les racines philosophiques et juridiques du terme, le Bien commun n’apparaît pas comme spirituel (transcendant), ni comme assimilable à une chose (publique), mais s’inscrit dans un rapport social. Rejetant naturalisme et essentialisme, les auteurs font du substantif commun un « principe politique » fondé sur l’activité pratique des hommes, semblant se confondre avec la définition-même de « l’activité humaine » comme « co-activité, co-obligation, co-opération et réciprocité » (p. 50). Mais le fondement de la co-obligation entre tous est la co-activité : « l’obligation politique procède entièrement de l’agir commun, elle tire toute sa force de l’engagement pratique de tous ceux qui ont élaboré ensemble des règles de leur activité, elle ne vaut que relativement aux coparticipants d’une même activité ». Donc il y a une double légitimité du Commun, citoyenne (en rapport avec la cohabitation territoriale) et socio-économique (liée à la co-production).
Pour les auteurs, l’alternative à la propriété privée n’est pas la propriété commune (étatique) : ils lui préfèrent « l’inappropriable » : « le commun à instituer ne peut l’être que comme l’indisponible et l’inappropriable, non comme l’objet possible d’un droit de propriété » (p. 240). La propriété (privée et publique) n’est pas condamnée : elle pourra subsister si on lui ôte, par la loi et le droit, le pouvoir d’abuser (jus abutendi) et d’être le seul maître à bord (p. 582-583).
S’il n’advient pas tout seul, comment instituer le Commun ? A la collaboration productive construite historiquement par le capital doit répondre une institution du Commun par le mouvement social. Les auteurs rappellent le pouvoir instituant du prolétariat, sa créativité historique – celle-là même qui poussa Marx à faire l’économie d’une réflexion sur les institutions à venir. Face à la faillibilité des institutions ouvrières (syndicats, coopératives, partis), les auteurs ne se replient pas sur les Conseils (comme Hanna Harendt), institution jugée trop fugace. Empruntant à Castoriadis, ils recherchent une forme de « praxis instituante » actualisée. Rejetant à la fois un penchant de la sociologie pour l’institué et la réduction de l’institution au processus de réification défini par Sartre, ils prônent, en s’inspirant de Michael Hardt et de Toni Negri, des institutions « non souveraines », n’éliminant pas le conflit. La solution avancée est celle d’un double fédéralisme coopératif, incluant à la fois les entreprises (communs sociaux-économiques) et les communes territoriales (des communs politiques). Ainsi la politique du Commun se met-elle en œuvre au travers d’assemblées parallèles, régulant entreprises et territoires.

Apports foisonnants de Dardot et Laval

Les apports de ce livre sont foisonnants. Le plus frappant est son double aspect synthétique – celui de manuel instructif, aux emprunts nombreux – et analytique, en ce sens qu’il explore toutes les notions invoquées. Il décortique et opère par distinctions. Il fait avancer le débat (intra- et post) marxiste, l’ouvre aux questions du droit, hybride Marx avec Castoriadis et Proudhon. Pour ce qui est de la teneur du concept de Commun, il a une vertu paradoxale : si le devenir de la société n’est pas immanent, nécessaire, et si la question du sujet social compte moins que la capacité politique d’auto-institution de la société, alors le politique prend le pas sur le social et l’économique (« le commun est avant tout affaire d’institution et de gouvernement », p. 581). Plaçant Castoriadis au cœur du débat politique alternatif, les auteurs (re)posent ainsi la question du primat entre les sphères de la vie sociale.

Impasses et amalgames

Malgré l’actualité et le caractère synthétique du propos, il y a cependant des impasses et des amalgames. Ainsi les auteurs laissent-ils de côté les objections centralistes concernant les capacités planificatrices (et destructrices) de l’Etat. On se demande parfois si l’enjeu est la définition d’un Etat fédéral ou d’une société autogouvernée : ainsi, si le principe de séparation des pouvoirs est retenu, on ne voit ni l’armée, ni la police, ni la justice fédérale « alternatives ». Devant la teneur philosophique de l’ouvrage, on peut se demander dans quelle mesure les auteurs, inspirés par Marx, n’ont pas amalgamé les genres livresques du Capital et du Manifeste. C’est un mélange d’analyse (la définition du Commun) et d’engagement (le Manifeste du Commun). Le statut conceptuel du Commun n’est donc pas complètement clair : ni catégorie d’analyse (comme la plus-value, ou la lutte de classe), ni objet d’analyse (i.e. le Capital), ni sujet de l’histoire (i.e. le mouvement ouvrier), ni nouvelle institution politique (en lieu et place du Parlement), mais un peu tout à la fois. Le contraste est frappant entre la volonté omniprésente d’établir des distinctions conceptuelles précises dans les champs économique, juridique, historique et politique, et le fait que les auteurs s’autorisent à poser un principe politique peu différencié.
Mais la question centrale est celle de la teneur sociologique de l’ouvrage. C’est sur le plan empirique qu’il est le moins riche : il explore peu les expériences et enseignements des mouvements sociaux et ne dit pas grand-chose par exemple sur la mise en commun des entreprises, jugée pourtant centrale pour l’émancipation du travail (p. 482). Les acteurs n’apparaissent pas, ou peu. On ne sait pas de qui il est question : de classes, de peuples, de multitude, de citoyens, de jeunes, de femmes, etc… Comme on l’a vu, la présence des acteurs sociaux varie selon les contextes. De façon générique, il est parfois question de « forces sociales et écologistes », derrière quoi se profile apparemment une préférence pour les acteurs organisés : les collectifs sociopolitiques, les institutions (anciennes et nouvelles : associations, coopératives, syndicats, communes). On pourrait comprendre que le Commun n’admet ni « appartenance » de classe, ni sujet de l’histoire. Mais s’il concerne par addition beaucoup de monde (usagers, travailleurs, citoyens, électeurs), il ne peut plaire à tout le monde. Globalement, la relégation des acteurs pourrait être l’effet d’un choix : si l’on pense l’institution transhistorique, alors l’acteur social historique passe au second plan. Si l’on pense l’acteur social, alors l’institution passe au second plan.
Pierre Dardot et Christian Laval n’ont pas inventé les questions qu’ils se posent (ni d’ailleurs toutes les réponses), et, si elles sont bien approfondies, ils ne se posent pas toutes les questions utiles (de qui parle-t-on, où, quand, comment ?) pour faire coller leur pensée au mouvement réel, pour qu’elle devienne l’expression de ce mouvement – en sus de combler des lacunes logiques de la pensée émancipatrice. D’où le côté arbitraire du fondement du Commun : faut-il revendiquer le droit à l’imagination ou exprimer le mouvement réel ? Et si l’on ne s’appuie pas sur des tendances objectives, sur quoi repose le raisonnement ?
Cela dit chapeau bas, devant toute cette érudition éclairante et stimulante, qui suppose certes, pour l’auteur comme le lecteur, d’avoir (et de se donner) une grande disponibilité, mais qui dresse, non sans raisons, un rempart contre la bêtise, l’aveuglement idéologique et l’égoïsme.

Ivan Sainsaulieu est professeur de sociologie à l’Université de Lille 1.

Texte de P. Corcuff

Rééquilibrer le commun par l’individualité : la piste Levinas

Quelques réflexions à propos d’un texte de Christian Laval

Par Philippe Corcuff

Le texte présenté par le sociologue Christian Laval au séminaire de recherche libertaire ETAPE du 20 mai 2016, sur « Commun : de quelques rapports que nous entretenons avec la « tradition libertaire » », constitue une contribution majeure à une actualisation de la pensée anarchiste se sentant redevable des apports de la tradition, et dans ce plus particulièrement de Pierre-Joseph Proudhon (1809-1865).

Générosité intellectuelle

Le séminaire ETAPE, dispositif hybride entre le militantisme et la recherche, a l’habitude de bénéficier de la bienveillance de ses invités, qui nous font des cadeaux exprimant la possibilité de l’amitié intellectuelle, trop absente, malheureusement, des milieux académiques professionnels (1). La guerre des egos, des « écoles » et des réseaux fait ainsi souvent rage dans le monde universitaire et les blessures de la reconnaissance apparaissent souvent abyssales. Cependant, il y a des contre-tendances dans une réalité socio-historique, qui comme la plupart des zones du réel, n’est jamais univoque, percée de grains de sable et de résistances au mainstream. Quelle belle contre-tendance que le texte de Christian Laval !

Christian Laval offre ainsi un texte inédit dans le cadre d’un « séminaire » non reconnu comme tel par les canons scientifiques et qui ne compte en rien pour les progressions de carrière. Plus, de formation marxiste, ce foucaldo-marxien s’expose sur le terrain de ses invitants en explorant la composante anarchiste de la démarche entreprise avec Pierre Dardot dans leur livre Commun (2), peu explicitée de manière systématique jusqu’à aujourd’hui.

Et Christian Laval, hérétique par rapport au poids des préjugés dans sa famille politico-intellectuelle d’origine, les marxistes, va jusqu’à réhabiliter la figure de Proudhon. Or, cette dernière a vécu si longtemps sous les crachats marxistes depuis que le bourgeois Marx lui-même, après l’avoir admiré, a stigmatisé ce prolétaire comme un « petit-bourgeois, ballotté constamment entre le capital et le travail » dans Misère de la philosophie en 1847 (3) ! Une leçon d’anti-dogmatisme. Une fraternité de l’émancipation. Un antidote aux aigreurs trop souvent actives dans les relations interpersonnelles dans les univers intellectuels ou politiquement organisés.

Les apports de Proudhon nourrissent donc profondément la démarche de réactualisation et de reformulation du commun qu’il a élaborée avec Pierre Dardot, nous dit Christian Laval dans son texte pour le séminaire ETAPE :

« Proudhon nous intéresse sous de multiples aspects, et depuis assez longtemps. Sa théorie de la force collective comme son analyse de la captation de cette même force collective par la propriété et l’État sont à nos yeux des références fondamentales. Nos travaux ont toujours eu pour intention assez explicite de lui rendre justice sur un certain nombre de ses apports philosophiques et politiques. »

Les analyses de Proudhon alimentent, partant, une reproblématisation du commun, qui refuse nombre d’usages actuels essentialistes, ceux qui en font une essence, une entité homogène, donnée et stable. Contre ce qu’ils nomment fort justement « la réification du commun » (4), la piste principale de Pierre Dardot et Christian Laval, c’est celle du processus, du faire, de l’action, du mouvement de la coopération :

« Le commun est à penser comme co-activité, et non comme co-appartenance, co-propriété ou co-possession. » (5)

Et d’ajouter :

« Contre ces façons d’essentialiser le commun, contre toute critique du commun, qui réduit celui-ci à la qualité d’un jugement ou d’un type d’homme, il faut affirmer que c’est seulement l’activité pratique des hommes qui peut rendre des choses communes, de même que c’est seulement cette activité pratique qui peut produire un nouveau sujet collectif, bien loin qu’un tel sujet puisse préexister à cette activité au titre de titulaire de droits. » (6)

Dans ce cadre, Christian Laval souligne dans son texte pour le séminaire ETAPE, en réorientant le regard vers Proudhon :

« Proudhon nous permet de faire une distinction majeure entre des versions à beaucoup d’égards contraires de ce que l’on peut et doit entendre par « commun ». Ce point est décisif. Il oppose la force collective à la transcendance propriétaire et étatique, la coopération à la communauté ».

Substituer la co-activité à la co-appartenance, la coopération à la communauté, voilà bien un déplacement pour penser le commun qui nous éloigne de dérives identitaristes fort actuelles, dans la valorisation des « communautés » et des « appartenances », débouchant sur nombre de résurgences communautaristes (au sens dans l’enfermement dans une « communauté » exclusive) et nationalistes en cours. Je pense notamment à l’éloge de « l’appartenance » en général et de « l’appartenance nationale » en particulier dans l’ouvrage Imperium du penseur dit « critique » Frédéric Lordon (7). D’ailleurs, cette divergence conduit le même Frédéric Lordon à caricaturer dans l’amalgame l’orientation du livre de Pierre Dardot et Christian Laval, en l’associant à « la pensée libérale » qui infecterait « toute la pensée libertaire » (8). Mazette, pour un prétendu « radical » infecté par le national-étatisme ! On préfèrera, en nos temps troublés par la montée de néoconservatismes identitaires et nationalistes, la rencontre de la lucidité internationaliste et de la générosité cosmopolitique chez Pierre Dardot et Christian Laval :

« Une politique du commun effective doit prendre acte du caractère mondial des luttes qui se mènent aujourd’hui, comme des interdépendances de toutes natures qui structurent nos univers de vie et de travail, notre imaginaire et notre intelligence. Un nouvel internationalisme pratique est d’ores et déjà à l’œuvre dans les combats qui se mènent » (9).

La focalisation sur le commun ou les pièges du « logiciel collectiviste »

Cependant, l’énorme travail de reconceptualisation du commun effectué par Pierre Dardot et Christian Laval, à partir de l’histoire des débats philosophiques et politiques comme des enjeux portés par les mouvement sociaux actuels, a des points aveugles. La générosité intellectuelle appelle l’honnêteté critique entre pairs, une critique amicale et généreuse, privilégiée par les séminaires ETAPE. Je ne traiterai que d’un point. Le commun, pensé comme co-activité, est présenté comme l’axe principal de l’alternative au capitalisme aujourd’hui ; alternative déjà en action dans les mouvements sociaux s’opposant au moment néolibéral du capitalisme. Selon moi, cette configuration oublie un autre pôle central pour les anarchistes comme pour Marx (pas le Marx des marxistes mais, par exemple, celui redécouvert par le philosophe Michel Henry, 10), en tension avec le pôle du commun : l’individualité.

Au cours du XIXe siècle et au début du XXe siècle, une variété de courants ouvriers et socialistes nouaient, sous des modalités particulières, individualités et liens sociaux :

* Les penseurs anarchistes ainsi que les militants libertaires qui ont animé le syndicalisme révolutionnaire fin XIXe/début XXe siècles, celui des Bourses du travail et de la première CGT (Pelloutier, Pouget, etc.), ont tout particulièrement mis en avant la promotion de l’autonomie individuelle au sein de relations de réciprocité contre la double tyrannie du capitalisme et de l’État (11). Par exemple, Émile Pouget, militant anarchiste et secrétaire national adjoint de la section des fédérations de la CGT de 1901 à 1908, va jusqu’à parler en 1910 dans sa brochure L’action directe de « l’exaltation de l’individualité » (12). Tout en précisant : « l’indépendance et l’activité de l’individu ne peuvent s’épanouir en splendeur et en intensité qu’en plongeant leurs racines dans le sol fécond de la solidaire entente. » (13)

* Le socialisme républicain de Jean Jaurès, en association avec le thème de « la propriété sociale » des grands moyens de production et d’échange, a fait de « l’individu » l’une des valeurs cardinales de la gauche. Il n’a pas alors hésité à avancer dans son article « Socialisme et liberté » de 1898 : « Le socialisme est l’individualisme logique et complet. Il continue, en l’agrandissant, l’individualisme révolutionnaire » (14). Pour lui, le socialisme créerait les conditions sociales de l’avènement pour tous de « l’individu » annoncé par la Révolution française (à travers la figure du citoyen, de la raison individuelle, etc.).

* Les figures socialistes et associationnistes comme Pierre Leroux, Benoît Malon ou Eugène Fournière, sorties de l’ombre, dans laquelle les avait plongées la prégnance des références marxistes, par le sociologue Philippe Chanial (15), ont su également penser ensemble individus et association.

Cette liste n’est qu’indicative et on peut y ajouter un Marx marqué par de nettes composantes individualistes le plus souvent passées sous silence par les lectures marxistes.

Toutefois, à un certain moment – après la guerre de 1914-1918 dans le cas de la France (16) – le thème de « l’individu » va s’effacer progressivement de l’espace des questions centrales des gauches dominantes, dans les familles socialiste, communiste et syndicales, au profit de thèmes plus « collectivistes ». La jambe individualiste des gauches va ainsi se trouver anémiée, sauf dans les courants libertaires. Un « logiciel collectiviste » va alors largement prédominer à gauche, que l’on parle de « socialisme » ou de « communisme ». Le risque ici, c’est que le commun, même repensé de manière ouverte et mobile par Pierre Dardot et Christian Laval, ne devienne un nouvel avatar de ce « logiciel collectiviste ».

Il m’apparaît qu’une piste plus heuristique consiste à déplacer le regard vers les tensions entre commun et individualité. Au croisement de la tradition juive et de la phénoménologie, le philosophe Emmanuel Levinas est justement un philosophe de la singularité du visage d’autrui. Ce qui signifie que l’individualité est immédiatement appréhendée chez lui dans un cadre intersubjectif, relationnel. Il a ainsi insisté sur le fait qu’on ne peut jamais complètement comprendre autrui, au double sens du mot : le connaître totalement et l’englober. Car il y a quelque chose dans autrui qui échappe à nos prises totalisatrices : justement l’unicité irréductible de son visage.

Pourtant, amorçant quelque chose comme une philosophie politique, Levinas a aussi suggéré une piste quant à la mise en rapport de deux dimensions : la part de l’incommensurable – en ce que l’individualité saisie de manière intersubjective tend à déborder toute mesure commune tout en étant tissée d’’une variété d’expériences collectives – et la part du commensurable – le commun saisi comme co-activité. Il écrit ainsi dans un livre d’entretiens, Éthique et infini :

« Comment se fait-il qu’il y ait justice ? Je réponds que c’est le fait de la multiplicité des hommes, la présence du tiers à côté d’autrui, qui conditionnent les lois et instaurent la justice. Si je suis seul avec l’autre, je lui dois tout, mais il y a le tiers […]. Il faut par conséquent peser, penser, juger, en comparant l’incomparable » (17).

Levinas a donc commencé à pointer la nécessaire et irréconciliable tension entre le caractère incommensurable de la singularité d’autrui, d’une part, et l’espace commun de mesure, de justice et de solidarité, outillé d’institutions, d’autre part. C’est ce qu’il appelle « comparer l’incomparable ».

Une telle perspective ne caractérise pas l’émancipation comme un cadre « harmonieux » (selon une expression d’inspiration religieuse) ou comme un « dépassement » des contradictions sociales (selon une certaine vision marxiste du communisme inspirée de la philosophie dialectique de Hegel). Car la formule « comparer l’incomparable » assume et affronte une dynamique infinie de contradictions entre la logique de l’individualité et la logique du commun, dans une inspiration proche de la figure proudhonienne de « l’équilibration des contraires » (18).

Cette piste levinassienne ne fait que compléter les solides appuis que nous fournissent Pierre Dardot et Christian Laval dans Commun, en s’efforçant d’éviter les dérives « collectivistes », et donc en approfondissant une perspective libertaire qu’ils ont eux-mêmes amorcé, et que Christian Laval a prolongé dans le beau texte qu’il a offert au séminaire ETAPE.

Notes :

(1) Je l’ai déjà souligné dans le cas de la séance sur Michel Foucault avec Geoffroy de Lagasnerie, dans « Pragmatiser l’horizon révolutionnaire et désétatiser la gauche. Quelques remarques critiques sur un texte de Geoffroy de Lagasnerie « Du droit à l’émancipation. Sur l’État, Foucault et l’anarchisme » », site de réflexions libertaires Grand Angle, 8 octobre 2016, [http://www.grand-angle-libertaire.net/pragmatiser-lhorizon-revolutionnaire-et-desetatiser-la-gauche/].

(2) P. Dardot et C. Laval, Commun. Essai sur la révolution au XXIe siècle, Paris, La Découverte, 2014, réédition La Découverte/Poche, 2015.

(3) K. Marx, Misère de la philosophie. Réponse à la philosophie de la misère de M. Proudhon (1e éd. : 1847), dans Œuvres I, Paris, Gallimard, collection « Bibliothèque de la Pléiade », 1965, p. 93.

(4) P. Dardot et C. Laval, Commun, op. cit., version 2015, pp. 32-40.

(5) Ibid., p. 48.

(6) Ibid., p. 49.

(7) F. Lordon, Imperium. Structures et affects des corps politiques, Paris, La Fabrique, 2015, pp. 37-53 et p. 190 ; pour des critiques, voir P. Corcuff, « En finir avec le « Lordon roi » ? Les intellos et la démocratie », Rue 89, 4 février 2016, [http://rue89.nouvelobs.com/2016/02/04/finir-lordon-roi-les-intellos-democratie-263066], et Jérôme Baschet, « Frédéric Lordon au Chiapas », site de la revue Ballast, 9 mai 2016, [http://rue89.nouvelobs.com/2016/02/04/finir-lordon-roi-les-intellos-democratie-263066].

(8) F. Lordon, Imperium, op. cit., p. 74.

(9) P. Dardot et C. Laval, Commun, op. cit., version 2015, p. 461.

(10) Voir P. Corcuff, « Le Marx hérétique de Michel Henry : fulgurances et écueils d’une lecture philosophique », revue Actuel Marx, n° 55, pp.132-143, [http://www.cairn.info/revue-actuel-marx-2014-1-page-132.htm].

(11) Voir, entre autres, Irène Pereira, L’anarchisme dans les textes. Anthologie libertaire, Paris, Textuel, collection « Petite Encyclopédie Critique », 2011.

(12) É. Pouget, L’action directe (1e éd. : 1910), Nancy, édition du « Réveil Ouvrier », s. d., repris sur le site de la Bibliothèque nationale de France, [http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k84028z], p. 6.

(13) Ibid.

(14) J. Jaurès, « Socialisme et liberté » (1re éd. : 1898), repris dans Rallumer tous les soleils, textes choisis et présentés par J.-P. Rioux, Paris, Omnibus, 2006, p. 346.

(15) P. Chanial, La délicate essence du socialisme. L’association, l’individu & la République, Lormont, Éditions Le Bord de l’eau, 2009.

(16) Sur cette césure de 1914-1918 quant aux rapports entre la gauche et l’individu en France, voir P. Corcuff, « Individualisme », dans A. Caillé et R. Sue (éds.), De gauche ?, Paris, Fayard, 2009, p. 199-208.

(17) Dans E. Levinas, Éthique et infini (1e éd. : 1982), dialogues avec P. Nemo, Paris, Le Livre de Poche, 1990, p. 84.

(18) Sur « l’équilibration des contraires » chez P.-J. Proudhon, voir Théorie de la propriété (1e éd. posth. : 1866), Paris, L’Harmattan, collection « Les introuvables », 1997, p. 206.

Philippe Corcuff est co-animateur du séminaire de recherche libertaire ETAPE et membre de la Fédération Anarchiste.

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