Séminaire ETAPE n°5 – L’autogestion en pratiques

Cinquième séance du séminaire mensuel du groupe ETAPE sur le thème « Emancipation(s) et pragmatisme » :

– Janvier 2014 –

 

L’autogestion en pratiques

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autour du livre collectif L’autogestion en pratiques (Les éditions Albache, 2013)

A partir d’un texte de Rafael Perez (co-fondateur des éditions Albache)

 

Et avec :



Ils sont peu à avoir fait ce choix et pourtant ils existent. Métallos, menuisiers, boulangers, enseignants et lycéens, ils vivent l’autogestion au quotidien : dans ce petit livre publié aux éditions Albache, ils nous racontent leur expérience d’un regard sans concession, conscients des difficultés à faire vivre l’alternative dans une société capitaliste.

« Albache » est une jeune maison d’édition autogérée qui publie des textes littéraires et de sciences sociales donnant la parole aux acteurs des luttes et aux sans-voix. Ces livres colorés invitent ainsi à comprendre dominations et résistances à même les pratiques et les stratégies singulières, des carnets de bagnards du XXème siècle aux récits de la résistance antifranquiste.


Ce livre-ci, recueil de témoignages vivants intitulé « L’autogestion en pratiqueS », soulève à nouveau le problème de l’articulation entre radicalité et pragmatisme. D’abord, comment faire tourner une alternative en reproduisant le moins possible de rapports de pouvoir, au sein de cette société profondément hiérarchique et inégalitaire ? Ensuite, comment s’appuyer sur ces multiples initiatives locales ponctuelles pour élaborer des réponses concrètes à la mesure des problèmes globaux ?

Présentation de Rafael Perez

Contribution de Rafael Perez

Autogestion et pragmatisme

 

– séminaire du 17 janvier 2014 –

 

Le texte qui suit reprend et développe certains éléments de la préface rédigée pour « L’autogestion en pratiqueS » (Editions Albache, 2013) dont j’ai été invité à parler au séminaire ETAPE.

La visée de cet ouvrage, réalisé en lien étroit avec la Foire à L’Autogestion, est avant tout introductive. Il propose un choix de témoignages actuels qui sont autant de pistes et de suggestions : l’expérience argentine, le Lycée Autogéré de Paris, la scierie Ambiance Bois et  la boulangerie « la Conquête du Pain ». Si l’idée d’autogestion revient au cœur des débats, il est souvent difficile de la définir. Avant d’entrer dans le vif du sujet, je rappellerai donc ici quelques éléments généraux : le mot « autogestion » renvoie au fait de gérer soi-même, par opposition à la gestion effectuée de l’extérieur par une direction autoritaire. Autogérer commence donc par s’organiser pour que ce ne soit pas un-e dirigeant-e qui décide pour les autres. Le premier objectif est de décider ensemble, entre individus égaux, de ce que l’on fabrique, par exemple, de comment on va le  fabriquer, le diffuser, dans quel but, de quelles façons, etc. Les exemples regroupés par ce livre sont multiples, mais ils tournent autour d’un même principe : puisque c’est nous qui consommons, puisque c’est nous qui produisons, alors c’est à nous de décider !

Voilà une manière de présenter en peu de mots l’idée commune à ces différentes initiatives. Mais au-delà, cette reprise en main ouvre sur une remise en question radicale de la production et de la consommation, et des séparations qu’elle implique. Le Lycée Autogéré de Paris par exemple s’efforce de questionner la coupure entre personnel enseignant et personnel technique, et au-delà entre enseignant-e-s et élèves. L’autogestion est ainsi un point de départ pour remettre en question plus généralement les modes d’organisation hiérarchiques et autoritaires, qu’ils passent par l’Etat ou par une entreprise privé. C’est là l’enjeu de mon intervention, et je vais essayer maintenant de dégager différentes séries de problèmes qui ont trait plus spécifiquement au rapport entre autogestion et pragmatisme, sur lequel on m’a demandé d’intervenir.

Quand on s’intéresse à l’autogestion, on retrouve une tension entre sens faible et sens fort du terme de pragmatisme. On peut comprendre la notion de pragmatisme en un sens faible, comme une manière d’accepter les contraintes de la pratique, de s’y adapter, de parer au plus pressé ou de choisir les solutions les plus faciles à mettre en œuvre. Mais on peut aussi la concevoir en un sens plus fort, comme une conception qui mesure la valeur d’une idée à la manière dont elle nous permet d’agir sur le réel, et qui cherche à écarter de manière critique les théories ou les débats qui ne changent rien dans la pratique.

En un premier sens, les tentatives autogestionnaires peuvent d’abord être reconnues dans une perspective anarchiste comme des points de levier pour questionner l’organisation hiérarchique et inégalitaire du travail et de la société. Il ne s’agit certainement pas de vouloir à tout prix coller un logo ou un label anarchiste à des expériences très diverses dans leurs motivations, leurs fonctionnements, leurs productions… Mais il y a là quelque chose qui doit être observé de près pour quiconque pense qu’il est possible et intéressant de s’organiser sans gouvernement, et plus largement, en combattant les dominations. Les expériences autogestionnaires peuvent être analysées comme des mises à l’épreuve des grandes idées anarchistes : un moyen de les confronter aux difficultés concrètes, de les affiner, de les dépasser ou de les renforcer. En ce sens, l’autogestion ne doit pas devenir un nouveau mythe ; il nous faut faire, sans mauvaise foi ni complexes, le bilan pratique de ces tentatives contemporaines, afin de pouvoir en tirer réellement les leçons. C’est dans cet esprit que nous avons constitués cet ensemble de témoignages. Par opposition à un certain anarchisme idéaliste, on peut ainsi comprendre à un premier niveau pourquoi l’autogestion est du côté d’un certain pragmat-isme, au sens tout simplement déjà d’une confrontation à la pratique.

Mais c’est bien le seul -isme qu’il est légitime d’accoler aux pratiques autogestionnaires. A mes yeux, mesurer l’écart entre autogestion et anarchisme n’est pas au fond l’approche la plus intéressante : au contraire, les expériences autogestionnaires sont stimulantes dans la mesure où elles explorent de multiples voies nouvelles, au-delà des grands systèmes en -isme qui prétendent avoir réponse à tout. Par opposition aux systèmes politiques unifiés, pensés et exécutés de bas en haut, les expériences autogestionnaires font figure de politiques par en bas, reconstruites dans les vides et les failles des grands projets totalisants. Mon but est ici de montrer comment et à quelles conditions l’autogestion peut être une politique pragmatiste au sens fort. L’autogestion n’est pas une politique « conçue pour » les travailleur-e-s, c’est une politique qui s’élabore à même les difficultés de l’action quotidienne, du travail, et des luttes. L’autogestion n’est donc pas une formule magique, une panacée, ni  un programme politique achevé : il faut s’en saisir, la faire évoluer, l’adapter, la perfectionner. L’autogestion est beaucoup moins une réponse qu’une manière de poser les questions, un espace de luttes et d’expérimentations ; beaucoup moins une théorie politique qui cherche à s’appliquer, qu’une politique qui se développe et s’affine à même des questionnements pratiques immédiats.

J’aimerais marquer ici deux lignes de questionnements, deux endroits où ça accroche, et où ce rapport entre autogestion et pragmatisme va poser problème : un volet interne, et un volet externe. D’abord, au sein d’un collectif, si la prise de décision autoritaire est si habituellement admise comme une réponse pragmatiste, comment l’idée d’autogestion peut-elle devenir concrètement une arme pour affronter la question du pouvoir et non une manière de le mettre à distance ? Ensuite, à l’échelle de la société, à quelles conditions ces multiples pratiques et initiatives locales qui font face à des problématiques particulières immédiates très différentes peuvent-elles s’articuler et déboucher sur une perspective d’ensemble et de long terme à la mesure de la crise globale et radicale que nous traversons ?

Pour sortir des chemins balisés des fonctionnements hiérarchiques, il faut d’abord ne plus accepter le pouvoir : refuser de le subir comme de l’exercer. Si on repart des fondamentaux, l’essentiel dans la démarche autogestionnaire, c’est déjà de se dire que les inégalités et les rapports de pouvoir ne sont pas une fatalité, qu’ils ne sont pas naturels : on peut les affronter consciemment, et y trouver des solutions collectivement. Mais ce processus n’est pas facile, et les témoignages recueillis manifestent aussi un certain nombre de difficultés dont il faut prendre conscience. Les acteurs et actrices des expériences autogestionnaires que nous avons rencontrés expriment souvent une certaine frustration en constatant qu’on ne se débarrasse pas si facilement du pouvoir. Des phénomènes de pouvoir se développent précisément au nom d’un certain « pragmatisme ». Des rapports inégalitaires perdurent ou apparaissent. Certaines structures de pouvoir globales se manifestent à nouveau dans les expériences autogestionnaires, ainsi les rapports de genre, ou les problèmes de prise pouvoir par la parole. Et bien souvent, on reproche à leurs critiques, et en particulier aux féministes, de retarder ou inhiber l’action collective. En outre, des relations déséquilibrées se développent plus spécifiquement dans les expériences autogestionnaires en fonction de l’ancienneté dans l’expérience, des différents degrés d’implication, des diverses compétences acquises… Il paraît plus efficace à court terme que celui ou celle qui a les compétences prenne les responsabilités, sans compter que le collectif a parfois tendance à se décharger des tâches laborieuses sur une personne qualifiée.

Pire, et paradoxalement, tout se passe trop souvent comme si le caractère autogestionnaire de ces expériences les handicapaient quand il fallait se confronter à ces questions de pouvoir : parler de pouvoir apparaît parfois comme l’insulte suprême, ou le tabou absolu. Certain-e-s semblent croire qu’il suffit d’être entre anarchistes pour que la question du pouvoir soit résolue. Des témoignages sélectionnés ici, se dégage au contraire l’idée qu’on ne peut affronter la question des rapports de pouvoir, qu’à condition de commencer par accepter de la regarder en face : combattre les logiques de pouvoir, ce n’est pas nier leur existence, mais en prendre le plus possible conscience et les remettre constamment en question dans la pratique.

En effet, d’un autre point de vue, il est crucial de se rendre compte que le pouvoir n’est pas une réponse pragmatiste, mais un problème d’organisation. Les phénomènes de pouvoir sont associés à une mauvaise circulation : de l’information, des savoirs, savoirs-faires, compétences, rôles, reconnaissance, attention, ressources, moyens, etc. Contrairement à ce que serine le discours dominant, il apparaît qu’à cause des phénomènes de pouvoir, l’action collective perd de la fluidité, de la cohésion et de la force. Le pouvoir est une relation bloquée, déséquilibrée, où les ressources sont concentrées et immobilisées en un point du collectif. En ce sens, l’organisation autoritaire est une habitude commode plus qu’une disposition efficace. On  nous a toujours appris à subir les décisions des chefs, de dirigeant-e-s, il faut changer nos habitudes, forger nos armes contre l’autorité, chercher par contraste des équilibres vivants, des modalités d’organisation et de prises de décision où chacun-e trouve sa place.

Les expériences autogestionnaires pointent ainsi vers un dépassement ou un approfondissement dans la pratique des grands principes théoriques de l’anarchisme. Dès lors, il s’agit de se demander en pratique comment construire de l’égalité entre des personnes qui ont des parcours, des formations, et des compétences très différentes. Comment élaborer des réponses pragmatistes sans produire ou reproduire des rapports de pouvoir ? Deux grandes réponses se dégagent ici, deux options expérimentées dans les collectifs, deux manières de combattre le pouvoir. La première consiste à dire que le pouvoir existe et qu’il faut se préoccuper de sa distribution : le risque est alors d’ancrer des inégalités existantes. La seconde consiste à combattre systématiquement les déséquilibres dans les prises de décision et leurs mises en œuvre : il faut alors attacher une attention toute particulière à ne pas casser les dynamiques et les volontés d’agir. Plutôt que deux options opposées, il s’agit en réalité de deux tendances. Ces chois dépendent aussi du type de projets : les enjeux ne sont pas les mêmes pour un lycée ou pour une scierie. Ainsi, les chemins explorés pour construire des fonctionnements à la fois égalitaire et souples, qui n’écrasent pas l’initiative individuelle et les porteur-e-s de projets, sont divers et doivent constamment s’adapter pour trouver des formes d’équilibre dynamiques.

 

C’est un des deux versants de la discussion, qui portent sur des problèmes internes aux expériences autogestionnaires, mais un autre aspect reste particulièrement délicat. Comment articuler des initiatives si différentes au sein d’un projet capable de répondre à une crise globale et de changer réellement la société ? C’est là toute la question et toute la difficulté. Car l’autogestion est encore et toujours exposée au piège de l’alternativisme : au risque de l’enfermement dans un petit îlot alternatif au milieu d’un océan d’inégalités et de crises. Pire, quand les entreprises autogérées restent isolées les unes des autres, on pourrait presque parler d’auto-exploitation. Elles sont en effet soumises à la concurrence, et doivent entrer dans les mêmes impératifs de production et de rentabilité. Les mécanismes économiques d’ensemble auront alors tôt fait de les rattraper, et de menacer leur viabilité, le maintien de l’activité, le paiement concret des salaires.

Cela pose la question du statut des expériences autogérées ponctuelles (micro) relativement à la globalité d’une société (macro). C’est un deuxième écueil des politiques pragmatistes. Ce point me paraît particulièrement important si on veut construire un lien entre pragmatisme et autogestion, et se demander ce que peut être une politique pragmatiste. On part du local, du ponctuel, mais on fait face à des logiques globales, qui peuvent sembler écrasantes. Selon une ligne dure, l’autogestion ne pourra vraiment être mise en œuvre que quand le capitalisme n’existera plus : les expériences actuelles sont en effet souvent contraintes d’entériner une différence consommateur-producteur, et ne remettraient pas assez en cause le salariat et les échanges marchands. Pour ma part, cette vision me paraît bien réductrice, et bien figée. Elle ne perçoit pas suffisamment l’autogestion en termes de processus et de conflictualité ; et surtout, au plan pratique, elle ferme la porte aux possibilités d’expérimentation actuelles, aux leçons qu’elles nous permettent de tirer, aux points de levier qu’elles peuvent apporter.

En tout cas, face aux indéniables capacités d’intégration et de régénération du capitalisme et de l’Etat, ce qui est clair, c’est qu’un projet autogestionnaire ne garde sa signification et sa force qu’à condition d’être dans une dynamique de lutte. Il faut donc aussi entendre ici autogestion au sens fort : elle ne se réduit pas à un moyen neutre, mais indique déjà une perspective plus large et porte finalement en germe l’exigence d’une autre organisation sociale. La crise actuelle apparaît comme une situation instable où les lignes bougent, où des failles s’ouvrent : nouveaux risques mais aussi nouvelles possibilités. Les organisations politiques et syndicales traditionnelles paraissent désemparées face à ces reconfigurations, et débordées par les solutions instables qui s’inventent sur le terrain (entre solidarité, débrouille, et repli réactionnaire). En outre, l’autonomie aussi semble dans une phase de déclin où elle se borne à répéter les pratiques émancipatrices du passé face à des dispositifs de pouvoir qui s’y sont adaptés, ou à déborder à la marge les mouvements sociaux dont les organisations politiques et syndicales continuent de déterminer le cadre général. C’est justement là que les expériences autogestionnaires peuvent apporter un nouveau souffle aux politiques pragmatistes. En outre, ces projets ouvrent des voies de réponse au double visage de la crise – économique et politique – en cherchant à dépasser la coupure entre économie et politique. Des réponses concrètes se développent ainsi sur le mode de l’auto-organisation, sans attendre que les solutions économiques tombent d’en haut, et dans une position très critique et désabusée vis-à-vis des réponses étatiques. Cela ne signifie pas nécessairement l’inutilité totale des organisations politiques ou syndicales traditionnelles (en tout cas dans la mesure où leurs discours n’enferment pas les pratiques, mais peuvent les intensifier, et les motiver) mais les remet à leur place face à ce qui s’invente socialement, en réponse à un contexte social de crise économique et politique. Sans céder à l’idéalisation, les expériences autogestionnaires apparaissent comme un levier pour inventer des voies nouvelles, au-delà des grands systèmes en –isme qui prétendent avoir réponse à tout.

Par-delà le communisme ou l’anarchisme auxquels les militant-e-s se réfèrent parfois, les expériences autogestionnaires explorent de nouvelles voies dans la pratique, et dégagent de nouvelles pistes. Elles donnent du grain à moudre pour inventer une révolution qui ne soit pas une prise de pouvoir ou l’imposition d’un système unifié, mais un processus pluriel d’auto-organisation qui renverse dans la pratique les principaux dispositifs de pouvoir. Si ce mouvement part d’une irréductible pluralité locale, cela ne signifie donc pas l’abandon de toute perspective de transformation d’ensemble, à la manière de celles et ceux qui ont récupéré le terme « autogestion » pour pousser les travailleur-e-s à participer à leur propre exploitation. Une démarche pragmatiste au sens fort n’oublie pas les problèmes de long terme et les structures d’ensemble : la diffusion de l’autogestion pourrait permettre à la fois la réappropriation des moyens de production et la participation directe aux décisions concernant ce que nous produisons, et au-delà notre manière de vivre. Face aux processus d’étatisation, unifiants, normatifs et hiérarchiques, l’enjeu des politiques autogestionnaires est de cultiver et disséminer ainsi des pratiques et processus d’auto-organisation à la fois égalitaires et multiples. Cela renvoie aussi à d’autres manières de désigner une perspective révolutionnaire, et d’agir dans ce sens.

 

Certes, le système économico-politique dans son ensemble doit être remis en question : il nous faut construire une réelle alternative. Mais cette alternative doit se construire à même des pratiques locales et singulières : les expérimentations autogestionnaires sont autant de brèches, de points de levier, et de manières de nous poser des questions sur ce que nous voulons vraiment. Au-delà de la crise des grands modèles, les multiples formes d’entraide et de projets coopératifs qui combattent les fonctionnements hiérarchiques et les logiques de pouvoir sont autant de lieux où inventer des perspectives différentes. C’est dans la pratique qu’on apprend à s’organiser autrement. Les mythologies politiques sont aussi enthousiasmantes intellectuellement que décevantes dans leurs applications : aucun projet ne tombera d’en haut, mais il s’invente déjà dans les interstices et les zones d’ombre. L’herbe pousse entre les dalles. Ici le nom de politiques pragmatistes ne renvoie donc pas au registre des techniques de pouvoir, mais au contraire à ces manières de s’organiser concrètement face aux enjeux de domination et d’exploitation. En outre, pour dépasser le niveau instrumental du pragmatisme, elles doivent être portées par une double exigence : ne pas faire du pouvoir un tabou mais l’affronter comme un problème d’organisation, ne pas perdre de vue l’horizon large mais  faire vivre la perspective d’une révolution plurielle et auto-organisée. A ces conditions, les expériences autogestionnaires pourront véritablement être des politiques pragmatistes au sens fort.

 

Rafael Perez

Présentation d’Eric

Contribution d’Eric

 « LA BELLE EQUIPE »

Coopérative syndicale de production dans l’industrie du Bâtiment

Une tentation alternative d’autonomie prolétarienne

2010/2012

 

– séminaire du 17 janvier 2014 –

 

Je suis parmi vous, ce soir, pour évoquer l’expérience de « La Belle Equipe », société coopérative de second œuvre (plâtrerie, peinture, carrelage) dans le Bâtiment.

Cette scop a la particularité d’être une émanation du Syndicat Unifié du Bâtiment de la Confédération Nationale du Travail (Française), qui en détient virtuellement (parce qu’aujourd’hui le capital est à – 25 000 euros) un tiers des parts, et sa gérance, pour le moment en sommeil, est toujours tenue par un membre du Conseil Syndical.

 

« EST-CE CELUI QUI DIT QUI EST ? »

 

La question de qui parle ici de cette expérience n’est malheureusement pas neutre.

Je ne suis pas membre de cette scop, et ne suis pas un travailleur manuel du Bâtiment.

Je suis membre du Conseil Syndical, ayant actuellement le mandat de la formation syndicale et de l’alphabétisation, et suis un travailleur intellectuel du Bâtiment, architecte coopérateur d’une société d’architecture (Archi-Ethic) composée de deux adhérents du syndicat.

Ce préambule sera l’objet de notre première interrogation :

Qui crée des scops, qui est la cible actuelle de l’autogestion ?

 

1.A – Qui crée des scops ?

Qui a aujourd’hui le capital intellectuel et social pour se lancer dans de telles aventures ?

Qui dans sa pratique professionnelle et/ou sociale a pu, ou peut, expérimenter ou formaliser les outils nécessaires à une autonomie productive dans le milieu hostile du Capitalisme ?

Le développement du capitalisme s’est accompagné de l’émergence d’une nouvelle classe sociale ayant une fonction et une position distincte dans la division capitaliste du travail : celle des agents subalternes de la domination capitaliste, à la fois exploités et dominés par la bourgeoisie mais qui dans le même temps « conçoivent, contrôlent, inculquent légitiment les différents rapports de domination par l’intermédiaire desquels se reproduit le capital ». les caractéristiques de cette classe sont en particulier « un savoir et un savoir-faire marqués du sceau du travail intellectuel par opposition au travail manuel et une formation théorique préalable (de caractère scolaire et universitaire) autant destinée à légitimer idéologiquement les fonctions d’encadrement qu’à en assurer la maîtrise par les agents qui les remplissent ».

Certains membres de cette classe, en opposition au système (par origine de classe ou par évolution personnelle) vont devenir des militants, formant l’encadrement de partis de gauche ou d’extrême-gauche ou de syndicats.

D’autres vont se trouver, à un moment ou un autre déclassés du fait d’une mondialisation de l’économie qui leur échappe.

Issus de l’un ou l’autre cas, c’est à notre avis, ceux qui vont le plus fréquemment devenir les porteurs de projets autogestionnaires.

Ce constat difficile, interroge une démarche visant à l’autonomie prolétarienne, comme celle portée par le syndicat.

Nous pensons que la classe ouvrière doit se garder de devenir le marchepied de la classe d’encadrement. Elle doit se méfier des valeurs que porte cette classe en tant que classe (modernisation, rationalisation, démocratisation, étatisation, culte du savoir, hiérarchie des compétences et des formations, expertise, …) qui sont contradictoires avec l’autonomie prolétarienne et sont l’une des sources et explications principales de l’intégration, institutionnalisation et bureaucratisation du mouvement ouvrier et de ses organisations.

Ceci explique la démarche un peu schizophrène de ma présence ici ce soir. Quelle que soit ma situation personnelle, c’est avec le mandat d’une organisation de classe porteuse de l’histoire et des espoirs de la classe ouvrière que je participe à ce moment de réflexion sur l’autogestion.

 

1 – LES CONDITIONS DE CREATION DE LA SCOP

 

1.A – Une scop issue du SUB.

Le Syndicat Unifié du Bâtiment, des Travaux Publics du Bois, de l’Ameublement et des Matériaux de construction de la Région Parisienne de la CNT (SUB TP BAM RP), qu’on appelle plus généralement SUB, s’est recrée il y a maintenant un peu plus de 15 ans en région parisienne, compte entre 60 à 80 adhérents et, comme syndicat d’industrie, rassemble les travailleurs de nos branches quels que soient leurs statuts ou qualifications.

Il rassemble donc des travailleurs dont la formation scolaire peut aller de quelques mois dans une école de brousse à plusieurs années passées sur les bancs de l’université, des écoles d’ingénieurs ou d’architecture. Depuis plusieurs années, une partie importante de ses adhérents sont des travailleurs immigrés occupant des emplois non qualifiés du BTP. La frange de travailleurs manuels qualifiés est peu représentée (bien que cela soit en train de changer), ce qui a induit la mise en place par le syndicat d’outils de formation (professionnelle, syndicale et personnelle) importants. En ce qui concerne la formation professionnelle, le syndicat développe plusieurs structures (chantier syndical, bureau de placement, bourse d’entraide, cours d’alphabétisation, …).

Outre son fonctionnement interne, et la scop « La Belle Equipe », le SUB a aussi mené des « expériences autogestionnaires » dans le logement (à Montreuil avec l’Atelier Populaire d’Architecture de Montreuil et le DALAS qu’il a créé) ; dans les pratiques culturelles et sportives et espère un jour prochain pouvoir le faire dans la distribution de produits de consommation courante.

1.B – Pourquoi mener de telles expériences ?

Nous sommes syndicalistes-révolutionnaires et à ce titre restons convaincus que le syndicat est l’outil de la transformation sociale.

Il l’est, à notre sens, d’autant plus que la société se composant d’une structure économique, d’une structure politique et d’une structure idéologique et culturelle ; qui autre que le syndicat couvre ce large spectre, et pourrait avoir vocation à le modifier ?

 

1.C – Le syndicalisme prépare la révolution

En effet, comme l’a énoncé le syndicalisme à l’origine, et que la Charte d’Amiens formulait ainsi :

Dans l’œuvre revendicatrice quotidienne, le syndicalisme poursuit la coordination des efforts ouvriers, l’accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates, telles que la diminution des heures de travail, l’augmentation des salaires, etc. mais cette besogne n’est qu’un côté de l’œuvre du syndicalisme ; il prépare l’émancipation intégrale, qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste ; il préconise comme moyen d’action la grève générale et il considère que le syndicat, aujourd’hui groupement de résistance, sera dans l’avenir, le groupe de production et de répartition, base de réorganisation sociale.

Ce que Fernand Pelloutier avait lui-même indiqué, en 1899, dans sa lettre aux anarchistes :

Nous devons non seulement prêcher au quatre coins de l’horizon le gouvernement de soi par soi-même, mais encore prouver expérimentalement à la foule ouvrière, au sein de ses propres institutions, qu’un tel gouvernement est possible.

 

1.D – Le syndicalisme développe, au travers ses propres structures, les moyens de l’autonomie

Fernand Pelloutier concevait la gestion et l’administration des Bourses du Travail, par les syndicalistes comme une action d’éducation des travailleurs. La Bourse du Travail était alors analysée comme la constitution d’une institution ouvrière au sein de la société capitaliste, et les pratiques d’auto-administration de la Bourse et de ses œuvres (culture, formation, secours, etc.) avaient une vertu éducative.

Pour le Syndicalisme Révolutionnaire, auquel nous nous référons, il existe des tâches préparatoires à la révolution, et en particulier celles de former les hommes et les femmes qui seront les leviers de ce processus.

 

1.E – Préparer la révolution, c’est être prêt à prendre en main la production

Si le millénarisme influença longtemps les masses, il s’avéra cependant nécessaire qu’apparaissent claires et viables les possibilités de transformation sociale ; et naturellement, cette capacité d’alternative détermine, lorsque s’en présente l’occasion, le comportement des masses dans la révolution, qui n’est alors ni arbitraire ni accidentel, mais bien produit et conséquence d’une période d’élaboration antérieure.

Parmi les problèmes immédiats de la révolution demeure, en premier lieu, la réorganisation de la production. Ce fut, à notre avis, le grand échec de la CNT espagnole qui en 1936, ne parvint pas à égaler dans l’industrie ses réalisations dans le domaine agricole.

Le projet de transformation économique, politique et social (en un mot révolutionnaire) est aujourd’hui majoritairement abandonné par un mouvement ouvrier intégré et replié sur un économisme de gestion (luttes sur les salaires, productivisme, culte de la croissance, etc.) arc-bouté sur la défense des acquis du « compromis historique fordiste ».

1.F – Comment le syndicalisme peut-il se préparer à la gestion ouvrière ?

La gestion des coopératives peut être conçue comme un apprentissage pour la gestion de la société dans son ensemble, à la fois dans le secteur productif et distributif. Si comme le soulignait Emile Pouget, les grèves partielles sont une gymnastique, un entraînement, une répétition dans le cadre de la préparation de la grève générale, l’autogestion dans les coopératives comporte aussi cette dimension éducative, pédagogique, qui tend à faire du producteur, du consommateur, un acteur conscient.

  • Dans la coopérative de production, le salarié ne doit plus être un travailleur aliéné.
  • Dans une coopérative de consommation, le consommateur ne doit plus être un client passif, asservi aux grands circuits de distribution.

 

1.G/ Le coopérativisme ou les « expérimentations autogestionnaires » ne peuvent cependant n’être qu’un moyen et non le but

L’organisation coopérative contient aussi une tendance conservatrice, réactionnaire. Dès l’origine, et en particulier dans la seconde moitié du XIXe siècle, une fraction du patronat international vit dans « les sociétés coopératives, (…) contre les erreurs et les périls du socialisme, le plus sûr et le plus généreux des remèdes »

Le coopérativisme est alors une association qui n’est ni politique, ni syndicale, mais simplement économique. C’est une société par actions – généralement petites – dont l’objectif est l’amélioration des conditions de vie et d’existence, des producteurs qui en sont membre. Elle ne détruit pas le Capital, elle l’aménage.

Marx, écrit dans Le Capital :

Pour ce qui est des coopératives ouvrières, elles représentent, à l’intérieur de l’ancien système, la première brèche faite dans celui-ci, bien qu’elles reproduisent nécessairement, et partout, dans leur organisation réelle, tous les défauts du système existant.

 

Ce propos est d’ailleurs conforme aux décisions du congrès de l’AIT, réuni à Genève en septembre 1866, qui adopte à l’unanimité le rapport présenté par le Conseil Central reconnaissant : « le mouvement coopératif comme une des forces transformatrices de la société présente, basée sur l’antagonisme de classe »  car les coopératives de production montrent « pratiquement que le système actuel de subordination du travail au capital, despotique et paupérisateur, peut être supplanté par le système républicain de l’association des producteurs libres et égaux ». Cependant, et dans le même rapport, l’Internationale ne considère pas la coopérative comme un outil apte à « transformer par lui-même la société capitaliste ».

C’est pourquoi, nous ne partageons pas l’espoir que certains, aujourd’hui, en Espagne ou ici, peuvent mettre dans cette forme d’organisation, pas si nouvelle de la « coopérative intégrale », et qui viendrait subvertir puis remplacer le Capitalisme.

Comme l’a souligné Henri Lefebvre, les « théories gestionnaires » de Proudhon sont erronées quand elles imaginent une installation de l’autogestion dans les points forts de la société, de l’appareil économique, voire de l’appareil d’Etat. Car, c’est dans les points faibles de la société existante que s’insèrent les expériences autogestionnaires. L’ensemble social, l’Etat ont leur puissance et leur cohérence. C’est dans les interstices qu’il se passe quelque chose. Si ce travail d’interstices est formateur et dans cette mesure émancipateur, il ne peut être le moyen d’abattre le Capitalisme. 

2 – LA BELLE EQUIPE

2.A – Origine

Notre scop syndicale « La Belle Equipe », entreprise générale de second œuvre du Bâtiment, a commencé son activité au mois d’avril 2010. Elle a démarré avec deux camarades.

En 10 ans c’était le troisième projet « mis en chantier ». Les deux précédents n’ayant pu aboutir à la constitution d’une équipe suffisamment solidaire pour mener le projet à son terme.

La présence de Stéphane, un camarade désamianteur chez Bouygues, licencié pour activité syndicale (création d’une section  CNT), a été une « opportunité » (si l’on peut utiliser cette expression), une réponse à la répression patronale, et la rencontre d’un camarade, s’interrogeant sur son avenir, avec le projet porté au SUB RP par son Conseil.

Pour le Conseil, ce devait être le premier maillon d’un réseau pouvant accueillir des Subars d’autres régions, utilisant ces structures pour développer leurs propres activités.

Dans le principe, les coopérateurs entrants (essentiellement Subars) devaient être cooptés par les coopérateurs en activité, puis confirmés par le Conseil Syndical, qui représente les intérêts du syndicat (en détenant des parts de la scop). Tous les salariés entrant dans nos scops devaient avoir normalement 6 mois pour devenir coopérateurs, ou, à défaut, quitter l’entreprise.

Le syndicat s’était donné deux ans pour accompagner « la Belle Equipe » vers l’autonomie, tout en allégeant progressivement son soutien.

Au-delà, le syndicat restait porteur :

  • d’un projet de création d’une scop de consommation, agissant sur les questions de décroissance, d’équilibre alimentaire, et d’échanges ;
  • d’un projet de coopérative d’habitants axé sur les approches en auto-conception, auto-construction, autogestion pouvant associer des espaces dédiés à la petite enfance ou à l’hébergement d’urgence.

 

2.B – La préparation

Le syndicat mis en place une formation professionnelle initiale, destinée aux deux futurs coopérateurs. Outre les aspects administratifs et constitutifs de la société, elle organisa une formation au métré afin de permettre à ces camarades d’établir des devis à proposer aux futurs maîtres d’ouvrage.

D’autre part, le syndicat lança une campagne de souscription et d’emprunt auprès de sympathisants, afin de récolter des fonds pour permettre l’acquisition d’outillage et de véhicule. Pour que les coopérateurs conservent le contrôle de l’entreprise, le syndicat, porteur de l’ensemble des sommes récoltées, entra pour un tiers du capital et de fait se porta garant des sommes prêtées.

Chaque coopérateur apportait en capital la somme de 5 000 euros.

En dehors de l’apport de 15 000 euros des deux coopérateurs et du syndicat, ce dernier garantit un prêt de 18 000 euros consenti par deux personnes extérieures au syndicat pour acheter un véhicule professionnel.

Enfin le syndicat, au travers de la coopérative d’architecture Archi-Ethic, d’adhérents ou de sympathisants de l’Union Régionale Parisienne CNT-f, apporta, de fait, la clientèle de la première année.

Environ 6 mois furent nécessaires pour cette préparation.

 

2.C – 27 mois d’activité

Comme énoncé précédemment, le CA de la première année devait dans le principe être acquis.

Des tableaux de bords avaient été préparés pour permettre le contrôle de l’exploitation.

Le syndicat avait établi que les membres de la scop devaient chacun prendre un mandat au Conseil Syndical, assurant ainsi le syndicat d’avoir un retour hebdomadaire sur l’évolution de la coopérative.

Au septième mois d’activité, un défaut d’anticipation (organisationnelle et commerciale) fut à l’origine d’un « chômage technique » de plusieurs semaines grevant fortement la trésorerie de l’entreprise.

Au 16ème mois, un des deux coopérateurs ne réembaucha pas après les congés d’été. Ce coopérateur, mandaté du Conseil Syndical, abandonna de ce fait la scop et le syndicat.

Pour répondre à l’urgence des chantiers, le coopérateur restant imposa comme salarié son frère, que le syndicat (second coopérateur en titre) ne rencontra jamais.

Rejoint enfin la scop, un dernier camarade du SUB, alors demandeur d’emploi, qui conserva son titre de salarié (moins de 6 mois dans la scop), jusqu’au mois de juillet suivant où le syndicat, faisant le constat de la perte du capital, d’énergie sinon d’envie du gérant en titre, et de commandes, proposa de licencier (afin de garantir son droit aux allocations de chômage) le gérant (à sa demande) et la mise en sommeil de l’entreprise.

 

3 – LE POURQUOI DES ECHECS

 

3.A – Quel soutien ?

Dans un cadre général hostile à l’autogestion, la question du soutien nous semblait primordiale et devoir s’effectuer à deux niveaux.

  • Celui du syndicat, par un soutien moral (au syndicat et dans la scop, le principe d’entraide est primordial, la scop est une forme d’expression du projet émancipateur porté par le syndicat), technique (le syndicat peut apporter le soutien des compétences professionnelles qu’il détient), commercial (apport d’affaires par la coopérative d’architecture, et individuellement par les adhérents).
  • Celui d’un soutien plus large de nature financière (apport monétaire au Capital) et commerciale (apport d’affaires).

Il avait été convenu que les coopérateurs informeraient régulièrement ces deux niveaux de soutien par :

  • Une information comptable régulière du syndicat
  • La production d’une lettre d’information destinée aux souscripteurs

Aucun de ces engagements ne fut réellement et régulièrement tenu malgré les demandes de certains membres du Conseil Syndical.

 

3.B – La place du syndicat

Le syndicat avait pensé qu’en étant membre coopérateur il avait une possibilité de contrôle sur le projet et particulièrement ses valeurs (égalité des coopérateurs, formation, conditions de travail, rémunérations).

Ce fut une erreur, et un échec total, pour le syndicat qui, dans cette affaire, a perdu :

  • Les coopérateurs, qui démissionnèrent du syndicat.
  • Une somme de 25 000 euros, entravant ainsi le développement propre du syndicat et de ses moyens financiers d’entraide et de lutte contre le patronat
  • L’exemplarité de l’expérience auprès de ses syndiqués, de son organisation confédérale, et de l’extérieur (image).

Aujourd’hui, le syndicat pense :

  • Qu’il n’a pas suffisamment mobilisé à l’intérieur du syndicat, car pour beaucoup de ses membres, cette expérience ne fut celle que de deux adhérents.
  • Qu’il n’avait pas suffisamment de membres qualifiés en interne pour apporter un soutien professionnel conséquent à une entreprise exerçant dans un domaine très concurrentiel.
  • Qu’il s’est leurré sur ses moyens de contrôle.

 

3.C – La maîtrise du capital

Le fait que le capital soit attaché aux coopérateurs fut une des causes de la situation de faillite.

  • Il fut un élément de sélection (quel ouvrier a les moyens de trouver 5 0000 euros pour son entrée dans la scop ?), qui laisse de côté une très grande partie des adhérents du syndicat.
  • Le risque que le coopérateur perde son apport en capital (ce qui s’est effectivement passé pour les trois coopérateurs impliqués) renforce l’idéologie capitaliste que nous sommes censés combattre.
  • Dans le cas d’une réussite de l’entreprise, l’évolution de la valeur de ce capital menace le projet égalitaire, entre anciens et nouveaux coopérateurs.

 

3.D – L’état de « conscience »

Au syndicat, nous évoquons trois états de conscience du syndicalisme. Leur découverte et assimilation doit permettre à chaque adhérent d’accéder à cet état de « libre producteur », sujet de l’émancipation.

  • La première est  la Conscience de classe, qui veut que le salarié prenne conscience de sa « qualité » d’exploité dans un rapport de classe.
  • La seconde est la conscience de métier, qui permette au salarié de considérer sa place dans le système de production au regard de sa qualification professionnelle, qui (plus elle est grande) lui permet une autonomie face à l’emprise du patronat.
  • La dernière est la Conscience révolutionnaire, qui révèle au salarié que la société est injuste et qu’il faut la changer.

On constate que rares sont les adhérents qui arrivent au syndicat pourvus de ces trois états de conscience.

  • Certains peuvent être des militants libertaires convaincus, mais cependant non qualifiés et/ou affichant un mépris de classe.
  • Certains peuvent être de très bons professionnels marqués par une formation initiale (compagnonnique par exemple) opposée à une conscience de classe.
  • Certains sont encore des ouvriers non qualifiés, objets d’une exploitation révoltante, subissant la lutte de classe engagée par le patronat, mais sans envisager de changer la société.

Le but du syndicat, à travers la défense des intérêts immédiats (conscience de classe), au travers de la formation professionnelle (conscience de métier) ou de la formation syndicale (conscience révolutionnaire), travaille à la révélation de ces trois « consciences » chez ces adhérents.

Dans une expérimentation syndicale autogestionnaire, il est primordial que les coopérateurs aient atteint ce niveau de conscience. Le syndicat n’a pas eut ce rôle de contrôle dans la cooptation des coopérateurs, qui ont insufflé alors, dans la coopérative, des valeurs opposées à celles du syndicat.

 

3.E – L’organisation du travail

L’organisation du travail dans le bâtiment nécessite qu’au moins deux coopérateurs soient en même temps présents sur le chantier (efficacité dans le travail mais aussi sécurité).

Le principe retenu était que la compétitivité de l’entreprise reposait sur le principe de « se donner la main ». Le travailleur qualifié dans un domaine recevait l’appui d’un autre moins qualifié qui venait en appui et inversement sur d’autres travaux.

Les tentatives syndicales précédentes pour monter la scop avaient échoué sur cette question. Des travailleurs qualifiés refusant  de « donner la main » sur des travaux sortant de leur champ de compétence.

Ce principe

de deux travailleurs constamment sur un même chantier fut rarement respecté, et ce pour plusieurs raisons.

  • Mauvaise préparation du chantier obligeant un des coopérateurs à sans cesse devoir aller chercher des matériaux et de l’outillage complémentaire.
  • Retard pris sur les travaux obligeant l’un des coopérateurs à finir le premier  chantier pendant que l’autre commençait le second.
  • Mauvaise gestion administrative et commerciale

La question du rapport au travail doit, aussi, être approfondie. En effet le problème de l’auto-exploitation inhérent à la création de petites entreprises (à faible capital initial) dans un monde économique ultra-concurrentiel, oblige souvent leurs créateurs à une amplitude horaire de travail bien supérieure à la réglementation sociale. Si cet état de fait participe des valeurs du libéralisme, il est bien évidemment à l’opposé  de celles du syndicalisme que nous développons. L’organisation du travail doit pouvoir tenir compte de ces « impondérables » qui donne à la vie de l’ouvrier (à ses désirs immédiats), une place prépondérante, et relativise l’importance du travail.

 

3.F – La qualification professionnelle

Il s’avère que généralement l’industrie du bâtiment dispose d’une main d’œuvre peu qualifiée, s’étant formée empiriquement sur les chantiers. Ce phénomène est bien évidemment renforcé sur le marché artisanal, correspondant au champ concurrentiel de la « Belle Equipe ».

Les coopérateurs de la scop ne dérogeaient malheureusement pas à cette règle. « Bricoleurs de bonne volonté », ils accumulèrent des malfaçons à l’origine de retard de chantier ou de défauts de règlements.

La question de la formation continue, largement évoquée par le Conseil Syndical, obtint toujours la même réponse des coopérateurs : « pour le moment, il faut bosser pour assoir la stabilité de l’entreprise, on se formera après ».

 

3.G – L’égalité

Cette question est primordiale, dans une société parfaitement inégalitaire et pour un projet qui veut tendre vers l’égalité.

Le syndicat a fait l’erreur de trop vouloir la promouvoir, alors que les compétences de chacun ne le permettaient pas. La rotation sur les différents postes de travail fut à l’origine d’une partie des disfonctionnement et alimentèrent des tensions humaines et sociales entre coopérateurs.

Faute d’avoir pu définir les fondements de cette égalité (salaire, temps de travail, rotation des taches, etc.), le fonctionnement de l’entreprise renforça ces inégalités.

 

3.H – Quelles compétences ?

Au-delà de la qualification professionnelle, évoquée plus avant, se pose la question de l’acquisition de compétences supplémentaires nécessaires au fonctionnement d’une entreprise autogestionnaire dans un système capitaliste.

Une des premières conditions est la capacité à se projeter dans le temps, à planifier des actions qui doivent permettre de préparer le présent. A l’exemple de : « quand j’ai du boulot je n’en cherche pas d’autre », la coopérative se retrouva plusieurs semaines sans chantier à suivre.

C’est une difficulté de base supplémentaire pour des ouvriers que leur expérience a confiné dans des tâches subalternes d’exécution, et souvent parcellaires. L’ouvrier, et d’autant plus s’il est moins qualifié, ne se pose pas ces questions dans son exercice professionnel courant (dépossession de l’outil de travail).

Cette gestion particulière du temps présent est opposée au principe d’accumulation capitalistique. Il en fait une des caractéristiques révolutionnaires de la classe ouvrière qui, comme dans le poème de Jacques Prévert, peut préférer, le lundi venu, et s’il fait beau, tourner le dos à l’usine.

 

3.I – La communication interne et externe

La communication entre coopérateurs ou avec les clients, fournisseurs et cotraitants de l’entreprise se trouve compliquée par le manque d’aisance orale que rencontrent des personnes ayant été peu scolarisées ou que l’exercice professionnel conduit à s’exprimer plus souvent corporellement que par l’usage de la parole. C’est effectivement le cas pour des ouvriers du bâtiment.

Outre les difficultés rencontrées sur les chantiers ou dans la négociation, renégociation avec les clients (compte tenu des conditions de production et des malfaçons induites, tout est tout le temps renégocié), les coopérateurs, qui avaient pourtant une relation amicale forte avant la coopérative, en arrivèrent à ne plus se parler du tout, à tel point que quand un des coopérateurs décida de ne pas reprendre le travail après une période de congés, il fallu plusieurs semaines avant de connaitre sa décision.

Ce rapport à l’autre s’exprima aussi dans la difficulté à construire une image commerciale, qui ne soit pas l’exacte représentation des coopérateurs (mode d’expression et de représentation). Il ne fut pas possible par exemple de réussir en 27 mois de faire apposer le logo de l’entreprise sur le camion.

 

3.J – Le marché

Le marché sur lequel évoluait la Belle Equipe est un marché très concurrentiel occupé par une multitude de micro-entreprises artisanales souvent à l’extrême limite de la légalité sociale et fiscale, avec pour conséquence une lutte acharnée sur les tarifs.

Pour garantir le niveau des salaires, de formation et de conditions de travail, la scop devait développer une image forte lui permettant de toucher une clientèle particulière susceptible de lui permettre une rentabilité effective. Mais :

  • Le faible niveau de qualification des coopérateurs,
  • La communication défaillante de l’entreprise,
  • La mauvaise organisation des chantiers,

ne permirent pas de fidéliser cette clientèle.

3.K – De la responsabilité

Cette question formulée en terme de responsabilité collective ne fut pas suffisante.

La qualité de gérant (et de responsabilité réelle et fantasmée sur ses biens propres), la crainte des avis d’huissiers, renforcent le sentiment que la responsabilité n’est pas collectivement partagée.

Ce sentiment induit chez ceux qui se sentent abandonnés (parce qu’ils sont gérants, ou parce qu’ils considèrent que les plus grandes responsabilités – comptables, commerciales, techniques, etc. – leurs reviennent), une certaine défiance, et donc se considèrent comme non redevables d’informations envers le collectif (qui les aurait trompé, voire manipulé).

Cela renforce aussi pour eux la responsabilité des autres coopérateurs qui deviennent : « pas assez : responsables, impliqués, compétents … ».

 

4 – LES CONDITIONS D’UN REDEMARRAGE

4.A – Quel soutien ?

  • Le syndicat s’avère dans l’impossibilité d’apporter un soutien technique bénévole à une structure économique exerçant sur le marché privé. Ses temps de réaction et de mobilisation sont trop lents pour être en adéquation avec les exigences d’une activité qui se doit d’être rentable.

Si le syndicat peut aider à constituer un comité technique de soutien à la scop, ce dernier, pour être efficace doit trouver, lui-même, le moyen de sa rentabilité.

  • Il nous semble indispensable de constituer un réel collectif de soutien.

Pour cette première tentative, nous avons principalement limité les soutiens à un caractère financier et à la marge de l’apport d’affaire. Ce qui fut certainement une erreur. Le corollaire à cette démarche, induit que nous trouvions les moyens humains pour organiser une forme de communication, accessible à tous et qui puisse permettre une sensation communautaire plus grande (mais aussi plus exigeante) envers les coopérateurs.

 

4.B – La place du syndicat

Le fait que le syndicat ait été lui-même coopérateur était une erreur à ne pas renouveler. Outre le fait que le syndicat n’a pu protéger ses valeurs, il s’est retrouvé responsable d’une dette qui réduit ses capacités d’intervention et de lutte.

  • Le syndicat doit trouver une structure autonome adéquate de soutien de projet, pouvant lui permettre tout à la fois de contrôler que les valeurs développées dans la scop sont en accord avec celles promues par le syndicat, sans assumer les risques financiers d’une entreprise privée.
  • Pour que ces expériences soient perçues comme une prolongation du syndicat, il doit rester le vivier dans lequel les scops trouvent des coopérateurs préparés (travail syndical sur les 3 consciences), et alimenter la structure garante du capital en administrateurs conscients … et s’en tenir

 

4.C – Le capital initial

L’historique nous montre que l’accumulation de capital par rétention des bénéfices est peut être la cause principale de la disparition des entreprises autogérées. Les coopérateurs peuvent se sentir plus intéressés par l’argent et la propriété que par le travail, ce qui amène à limiter le nombre de coopérateurs, à la dispersion du capital lorsque ceux-ci approchent de l’âge de la retraite et à l’engagement de travailleurs de deuxième catégorie, simplement salariés, au lieu d’être membres à part entière de la coopérative.

C’est pourquoi, il peut apparaître essentiel de distinguer contrôle et propriété.

 

Gestion Ouvrière

Les coopérateurs doivent absolument participer au contrôle, à la direction et à l’exploitation de l’entreprise.

Ceci peut cependant être dissocié de la propriété du capital immobilisé mais externalisé sous forme d’une dette perpétuelle (non remboursable sur les revenus de l’entreprise). L’achat et la vente des biens de production (locaux, équipements, etc.) et la réalisation des gains en capital ne sont plus ainsi du ressort des coopérateurs.

En séparant les fonctions d’accumulation et de financement de celles de travail et de production, on crée un nouvel organisme, qui peut lui-même être au service de plusieurs entreprises (assistance technique, organisme de crédit réservés aux coopérateurs, fonds de garantie des services sociaux, etc.).

 

Société de Soutien

La « société de soutien » (à but non lucratif ou mutualiste), est donc un organisme financier chargé de fournir à la coopérative son capital de base, lui assurant ainsi que la valeur de ses biens sera protégée tant que les décisions portant sur leur usage productif n’iront pas à l’encontre des principes autogestionnaires. Elle ne pourra contraindre l’entreprise à cesser d’utiliser cet actif si ces conditions sont satisfaites.

L’appartenance à la « société de soutien » donne un droit de vote, mais pas de titres ou actions.

Le capital de base de la « société de soutien» constitué à partir de contributions et des bénéfices d’exploitation obtenus à partir des plus-values en capital et des redevances des services, est semblable à une fondation ou à un fond de crédit. Les bénéfices d’exploitation doivent s’accumuler en faveur des coopératives plutôt qu’en faveur d’un ou plusieurs individus. Corollairement, en cas de liquidation de l’actif net de la « société de soutien », il doit revenir à une autre « société de soutien » ou à un syndicat.

 

4.D – L’état de « conscience »

Le syndicat doit mettre en place les moyens de vérifier que les camarades qui se destinent à rejoindre la scop ont acquis les trois niveaux de conscience évoqués précédemment.

  • Pour la conscience de métier, le syndicat doit travailler, au travers du bureau de placement, à la mise en place d’un cursus de formation professionnelle qui fasse des postulants à rejoindre la scop, de véritables professionnels. Dans la prise de mandat du « Chantier Syndical », le syndicat pourra vérifier ces acquis, mais aussi vérifier (et à défaut former) que ce camarade dispose aussi des qualités de transmission nécessaires au travail d’équipe.
  • Pour la conscience de classe, le syndicat vérifiera les qualités d’entraide dont le camarade postulant dispose et peut mettre en œuvre au travers d’un mandat du Conseil Syndical dont il prendra la responsabilité.
  • Pour la conscience révolutionnaire (et donc la capacité à prendre ses distances avec le modèle actuel), le syndicat demandera au postulant de se former à l’animation de tout ou partie de cession de formation syndicale, de prise de parole public de représentation du syndicat.

 

4.E – L’organisation du travail

Pour se préparer à la coopération, les postulants devront collectivement animer une coopérative de distribution, qui servira d’incubateur.

L’animation d’une telle structure qui demande de la gestion (épicière), des commandes fournisseurs, des livraisons, de la comptabilité et de l’animation d’événements devra permettre sur un temps minimum d’une année (de travail syndical bénévole) de passer sur l’ensemble de ces fonctions.

C’est aussi le moyen pour le syndicat de vérifier de la qualité de l’investissement humain sur une longue période, et que les camarades destinés à travailler ensemble puissent se tester dans une période sans risque financier.

 

4.F – La qualification professionnelle

La question de la formation initiale ayant été abordée au chapitre « état de conscience », il nous parait indispensable d’insister maintenant sur la question de la formation continue. Comme nous le verrons plus après, il nous semble primordial d’envisager dès le départ un plan de formation qui puisse se mesurer, bien évidemment dans l’intérêt de l’entreprise, mais aussi individuel (les syndiqués se plaignent souvent de ne pas pouvoir accéder à une formation qualifiante dans les entreprises classiques), dans la question de la rémunération individuelle, dans l’organisation des chantiers (planifier la formation dans le calcul de rentabilité des chantiers, etc.).

 

Trouver les mots … pour le faire.

La question du langage est primordiale, elle l’est déjà dans le fonctionnement interne du syndicat. Cette formation donnée au syndicat est donc de première importance, et passe par :

  • Les cours d’Alphabétisation
  • La chorale du syndicat (le groupe SUB Urbain)
  • La préparation à la prise de parole pour les manifestations auxquelles participe le syndicat
  • La participation au Conseil Syndical et la prise d’un mandat.

 

4.G – L’égalité

L’égalité est trop souvent perçue dans le salaire, les tâches ou l’implication personnelle.

Si nous continuons à considérer que l’ensemble des salariés doivent passer sur toutes les tâches, il a sûrement été une erreur de penser que la répartition en temps devait être égalitaire.

Peut-être que celui qui est, à l’instant T, plus agile sur la part commerciale, pourrait y passer (en pourcentage) plus de temps qu’un autre qui sera plus à même de gérer la compta ou le chantier. S’il faut conserver le principe de la rotation des tâches, le temps qui y est consacré par chacun peut être différent.

La question de l’égalité peut aussi considérer un temps de travail choisi, qui peut être différent selon la situation familiale, ou les envies de chacun. La charge de travail devra en tenir compte.

Se pose aussi la question du quotient familial, de la rémunération de l’apport d’affaire, etc.

Toutes choses qui doivent être définies avant le début effectif de la production.

 

4.H – Le marché

La redéfinition de marchés porteurs doit correspondre aux degrés de qualification des coopérateurs, et à l’analyse de marchés porteurs et rémunérateurs. La dimension d’auto construction (au travers d’encadrement de chantier, d’animation d’ateliers – bois par exemple – ou de formation) doit être intégrée comme valeur portée par la scoop, mais aussi comme image identificatrice, et comme source de régulation de CA.

L’apport en bien immobilier (appartements ou locaux associatifs et professionnels) par la Société de Soutien, peut aussi permettre de mieux gérer les périodes de creux (retard de démarrage ou arrêt de chantier) dans les plannings de travaux (situation fréquente dans la production du bâtiment).

4.I – De la responsabilité

Pour éviter cette notion de responsabilité qui crée des antagonismes au sein de la coopérative et valorise les principes libéraux du travail, du mérite, de la plus-value et donc de l’inégalité, le syndicat se propose de valoriser deux axes, qui sont :

 

La non propriété

Le fait de séparer Capital et Travail sur un modèle autogestionnaire et transitoire comme évoqué plus avant, et d’inclure chaque scop dans un mouvement plus vaste qui l’enveloppe et la protège, peut être le moyen de rétablir une égalité de fait entre tous les coopérateurs.

 

La non accumulation

La conservation et la gestion (planification et finances) des pratiques ouvrières de « refus de parvenir » (accumulation bourgeoise), qui entendent définir un rapport au travail désaliéné, au travers d’une forme de droit à la paresse (dans un cadre restant à définir), établit sur une véritable qualification professionnelle et un état de conscience acquis au sein de notre pratique syndicale.

CONCLUSION

La scop demeure un outil difficile et délicat, car au cœur d’un système (économique, politique et culturel) que nous combattons. Elle reste une entreprise dont l’exercice se fait dans un monde libéral de profit et de déréglementation sociale à l’opposé de notre projet.

Pour le SUB, l’expérimentation coopérative n’est ni le but, ni le moyen pour parvenir à l’émancipation. Elle en est tout au plus un outil, un appareil de gymnastique révolutionnaire.

Notre choix est de s’organiser sur le plan des valeurs du Travail qui s’opposent à celles du Capital. Non pour le vaincre par cette seule action, mais bien pour renforcer notre culture prolétarienne faite du « refus de parvenir ».

 

Intervention de Pierre

Compte-rendu subjectif de la discussion ETAPE sur l’expérience de la boulangerie La conquête du pain de Montreuil

D’après la prise de notes de l’intervention de Pierre

 

Equipe de la boulangerie autogérée de Montreuil, « la conquête du pain », 8 salariés et deux apprentis, pain à l’épautre et le pain sans gluten, on s’en fiche un peu, mais notre expérience a plusieurs avantages importants :

Les organisations libertaires et anarchistes (j’appartiens depuis 15 ans la CND fonctionnent en vase clos, on se connaît tous de visu) ces entreprises permettent une réelle implantation locale et de quartier, même les syndicats nous sommes vraiment minoritaires, un tout petit mouvement, or à l’échelle d’un commerce de quartier, la question de la production et la consommation, on peut avoir une connaissance locale, le levier n’est pas le même. C’est un lieu de réflexion très important car notre idéologie est bonne, le capitalisme se transforme et l’anarchisme non, nous sommes très adaptables, l’analyse de Marx est fausse, le capitalisme provoque des crises en s’en relève à chaque fois et nous avons un peu de mal à suivre, l’entreprise nous aider à trouver des parades et des failles dans notre idéologie, même si cela ne doit pas supplanter un travail global d’organisation dynamique, une entreprise est cependant petite, et isolée dans sa bulle, elle disparaître car les membres s’épuiseront, importance des réseaux politiques, leviers de lutte et expériences concrètes, projet sociétal permettant de sombrer dans l’alternativisme (différence perspective humaine et dimension politique).

Conjoncturel : il faut faire du fric pour fonctionner quelle qu’elle soit, notamment pour les locaux, le capitalisme le tolère, s’en fout, trouve ça sympa et c’est la caution morale, mais le couperet tombe si cela ne fonctionne pas, même si nous sommes moins bien équipés pour gérer les lois et les règles complexes

Structurel : grand fantasme des reprises d’entreprises par les ouvriers, c’est très rare l’autogestion, en général on nomme un gérant, avec une hiérarchie même un délégué syndical de la CGT peut devenir un patron (vision très théorique), on reproduit le modèle qu’on connaît qui est le modèle patronal

On a vu les limites du mythe de la désocialisation (autonomiste, gauche, modem) tout le monde ne peut pas tout faire, même si tout le monde doit en avoir la connaissance, on ne peut pas former un boulanger en 3 mois, il faut minimum trois ans et en fait, il en faut 7 ou 8 dans un squat atelier partage ta médecine moi personnellement je n’irais pas mais comment faire pour que cette spécialité ne devienne pas une source de pouvoir, comment laisser les autres avoir prise

Problème de désir de prise de pouvoir ou problème de responsabilités à prendre (cela arrange tout le monde, parfois lourd de conséquences ou d’emmerdement et au bout d’un moment la personne ne voudra plus s’en séparer, de cette position de pouvoir et de la même façon comment gérer les gens qui ne font pas leut travail dans une structure de production cela peut provoquer des problèmes graves, il y a encore des produits chimiques et si les gens décident de ne pas y aller, ça explose et il y a des morts

Problème du droit et de la justice, litiges jugés par qui, une personne qui nous a coûté des dizaines de milliers d’euros, trois ans pour rembourser le trou, on a eu du mal à assumer de dire à cette personne, on te fixe un ultimatum et sinon tu partiras on a laissé toutes les possibilités et cela a duré très longtemps, on a proposé, mener un projet mais d’accepter le fait de prendre des responsabilité tout le monde était d’accord mais personne n’a voulu lui dire, j’ai fondé la coopérative j’ai dû lui dire au bout de quatre ans, on mettait les apprentis dans des situations très précaires, conséquences, personne ne voulait appliquer les règles fixées nous-mêmes, le milieu libertaire se base sur un rapport de force, on n’est pas capables de dire non ça n’est pas tolérable et donner des raisons à tes actes et prendre des décisions pour que cela s’arrête, ou on choppe dans un coin et on lui défonce la gueule, on recommence et au bout d’un moment il s’en va parce qu’il a peur de prendre des baffes (milieux autonomes ou orgas politiques, ça se règle en pugilat et c’est le plus fort qui gagne)

On a donc une implication locale, les organisations politiques on énormément reculé, mise en pratique de ce qu’on défend, question de la déspécialisation et organisation de la production pour fédérer des initiatives de luttes, je rejoins Raff, un réseau autogéré au sein du capitalisme, ça n’a pas de sens, si on réussit, on sera détruit par le capitalisme comme une menace.

 

En boulangerie, les autogérés et les coopératives sont différentes, les coop ce n’est pas intéressant pour céder une entreprise avec plus-value, une coop c’est bien pour distribuer les impôts sur les bénéfices car c’est redistribué (aux salariés au moins 35 % doit être redistribué) seules les redistributions aux actionnaires sont imposées, deux assemblées salariées mais il ne peut y avoir que deux.

Les scop sont des sarl sous statut coopératives ou sinon les sapo, ce sont des entreprises qui fonctionnent pareil, dans l’entreprise autogérée c’est égalitaire, on est une scop mais toutes les scop ne sont pas autogérées.

Dans les scops plusieurs mouvements : les scouts par exemple, ils lisent depuis des années mais pas dans la même perspective que nous, mais ils ne viennent pas du milieu, nous sommes très peu mais dans le milieu libertaire qui crée des amaps la tentation d’alternativisme est forte, on va créer des amaps (légumes) et les autonomes (théorie des archipels défendre par les forces militaires pour faire peur à la police) deux facettes d’une même théorie au contraire nous sommes la bonne conscience du capitalisme. Ils nous aiment bien, nous les jeunes. Il nous faudrait aussi une fédération. Chez nous on n’a pas le droit de frapper les apprentis, nous c’est normal, on cogne l’apprenti, on a décidé de ne pas le faire, vous ça vous fait rire, mais dans l’alimentaire on tape les apprentis et c’est normal, moi on m’a respecté comme ouvrier le jour où j’ai mis le poing dans la gueule de mon chef, quand un apprenti ne marche pas, c’est une perte d’énergie et de temps énorme, les entreprises de petite taille travaille énormément dans l’urgence, tous les patrons veulent créer une boîte, revendre à cinq ans, nous créer une alternative plus calme est tentante de sortir des problèmes sociaux des gens. On doit remettre les choses dans une perspective révolutionnaire sinon les choses n’ont aucun sens ;

Notre capacité sociale et créative a beaucoup évolué, le milieu libertaire traite très mal le problème de la justice et du droit gros problème moi y compris, on n’arrive pas à régler les problèmes dans la pression du milieu capitaliste, une entreprise classique est mieux formée que nous, mais ne pas avoir une vision trop positiviste de bravo comme vous fonctionnez bien que vous êtes tous heureux, mais nos initiatives telles qu’on les mène, elles péricliteront si elles ne sont pas des outils de transformation sociale et des outils de réimplication dans les problèmes sociaux bien plus forts que ceux qu’on a à l’heure actuelle, moi militant en dehors des périodes de mouvements sociaux, on reste en vase clos, cela nous permet de le faire ces initiatives de proximité, et on devrait être fédérés, on doit encore se poser les questions des limites de ce qu’on fait en restant optimistes.

Au bout de quatre ans d’existence on a changé cette image. Si nous n’avions pas eu un bagage politique, nous n’aurions pas pu faire ce travail-là, nous serions des boulangers bobos qui ont un discours sur l’autogestion. Je ne suis pas pessimiste, on a encore la volonté d’agir, d’un point de vue local, national et international. Les jeunes me parlent parce qu’il y en a cinq dont j’ai pris le CV et ils viennent chercher les pains au chocolat parce qu’on les file le vendredi soir, et on invite des boulangers de fédérations nationales et même à l’international. On peut faire des choses à plus grande échelle. On a soutenu les gens d’Aulnay, les expulsés, c’est très efficace, mais nous sommes issus du, et dans, le capitalisme.

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