Séminaire ETAPE n°6 – Luttes ouvrières aujourd’hui

Sixième séance du séminaire mensuel du groupe ETAPE sur le thème « Emancipation(s) et pragmatisme » :

– Février 2014 –

 

Luttes ouvrières aujourd’hui

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Autour du roman de Silien Larios L’usine des cadavres. Ou la fin d’une usine automobile du nord de Paris (Les Editions Libertaires, novembre 2013, postface d’Ivan Sainsaulieu)

 

A partir d’extraits choisis du livre sous le titre : « Témoignage romancé d’une grève en 2007 dans une usine automobile parisienne, par un ouvrier trotskiste devenu anar »
Silien Larios a été ouvrier dans l’usine PSA d’Aulnay, ancien  syndicaliste et ancien militant de LO ayant viré anar ; il est toujours  ouvrier dans le secteur automobile.

 

  • Rapporteur « compréhensif » : Ivan Sainsaulieu, professeur de  sociologie à l’Université de Lille 1, ancien militant exclu de LO,  auteur de la postface du livre de Silien Lario
  • Rapporteur « critique » : Sylvain Pattieu, maître de conférences en  histoire à l’Université de Paris 8, écrivain, militant de la gauche  radicale (ancien militant LCR et NPA, aujourd’hui à  Ensemble au sein du Front de gauche), auteur de Avant de disparaître. Chronique de PSA-Aulnay (Editions Plain Jour, octobre 2013)

 

Extraits du roman de Silien Larios

Témoignage romancé d’une grève en 2007 dans une usine automobile parisienne, par un ouvrier trotskiste devenu anar

 

 

Je buvais souvent un verre avec Petar…

 

Je buvais souvent un verre avec Petar, un jour il me dit de but en blanc : la grève, elle va bientôt démarrer chez Carpedo. Deux mois avant, la rouge de Carpedo avait fait 80 pour cent aux élections professionnelles, ça annonçait la couleur. Comme c’étaient les staliniens qui avaient monté la rouge Carpedo, il y avait aucun contact avec les trotskistes de Bagnole-lès-Rancy. D’un côté ou de l’autre, 0 : sectarisme quand tu nous tiens…la grève démarre le lendemain. Petar m’appelle pour me le dire. Je préviens Gerbier et Sorel. Petar m’emmènera tous les matins en voiture voir les grévistes avant mon travail. Ce qui fait que je suis le seul de Bagnole-lès-Rancy à voir les grévistes, serrer leurs mains, discuter avec eux. J’échange mon numéro avec leurs chefs. Ils me disent avoir l’intention de rentrer au Ferrage, ils m’appelleront quand ils trouveront le moyen d’entrer. […]

Ils appellent pour me fixer un rencart, les chefs syndicaux ont trouvé une ouverture. Je préviens Sorel et Gerbier qui vient de se réveiller. L’heure approche, je me mets en délégation. Me voilà au rendez-vous. Je les vois débouler au Ferrage : leur chef m’embrasse. Un grand ouais ! général retentit : hourra ! hourra ! hourra !….Nous voilà débouler au Ferrage, criant : la force des travailleurs, c’est la grève ! la force des travailleurs, c’est la grève ! Bagnole-lès-Rancy avec nous !… on se dirige vers le Montage. Quelqu’un me tape sur le dos. Je me retourne, qui je vois ? Gerbier… après mon coup de fil, il s’est pas posé de questions, il a sauté de son lit, déboulé avec sa bagnole plein champignon sur l’autoroute. Nous voilà au Montage. Le reste du syndicat est là…Comme d’hab’ manifestation dans les ateliers, des ouvriers font grève la journée en solidarité. Le soir Petar m’appelle : les négociations viennent de finir avec la direction Carpedo. Résultat : cent euros d’augmentation, les jours de grève payés. Cette nouvelle aura des conséquences à Bagnole-lès-Rancy dans les jours à venir…

 

Vera Cruz avec Gary Cooper et Burt Lancaster

 

Dans la soirée, en sortant de la Filmothèque du Quartier latin. Je venais de revoir Vera Cruz (1954), avec deux icônes de mon enfance : Gary Cooper et Burt lancaster. Je compte pas les fois que j’ai vu ce western de Robert Aldrich depuis l’âge de huit ans, là c’était la première fois que je le voyais en vo. Un coup de fil de Gerbier m’annonce : la grève est déclenchée au Montage, ils demandent des augmentations de salaires comme à Carpedo ! Pointes-toi directement demain matin au Montage pour voir si ça prend pas aussi dans ton équipe !

 

Je me pointe directement au Montage en civil. Je dis pas le raffut…y avait foule d’ouvriers en grève. La direction a pas traîné : l’équipe de mouchards, huissier compris est déjà constituée. Cette fois y a quand même une nouveauté : une soi-disant beurette qui officie comme DRH, porte le keffieh palestinien pour faire croire aux jeunes : je suis avec vous ! Personne se laisse prendre à son jeu. Ses manières roulent aucun ouvrier. Tout le monde a vite fait de voir son jeu…

 

Je passe les détails à l’identique de 2005. Je vous amène directement à la première réunion du comité de grève. Il s’est refait tout seul dès que Sorel l’a proposé. Les mouchards infiltrés se grillent très vite, il aura suffi de formuler les revendications de la grève, pour qu’ils tombent. Le secrétaire du syndicat les Crétins dit : Demander 300 euros d’augmentation, c’est trop ! Pour obtenir quelque chose faut demander 50 euros ! La retraite à 55 ans, faut pas rêver ! Il se fait conspuer. À côté de moi Tahar le secrétaire d’ouest-Car, me glisse : C’est un fils de pute, qui est là pour casser la grève !

 

Le soir de la première journée arrive, je me balade au Montage. Les Grands sont partis faire leur réunion en douce. C’est mon droit, je veux pas aller à celle des Petits. Me revoilà en froid avec eux. Je ferai les suivantes à couteaux tirés. Avec ce que je vois ce soir pas de regrets d’avoir raté la première. À l’endroit où j’arrive, j’entends de la musique: des tam-tams, de la fanfare marocaine… Sur les chaînes les ouvriers font la fête: chantent, dansent… Quand ils me voient arriver, à leur visage je devine tout de suite : C’est le trotskiste qui vient nous casser les couilles ! Faire la leçon ! Nous dire ce qu’il faut faire ! Je danse, fais la fête avec eux… au début, ils sont étonnés. Après, l’un des musiciens me dit : D’où on vient, nous savons ce que veut dire crever de faim ! S’il faut on tiendra six mois, nous irons jusqu’au bout ! Jusqu’au bout ! sera un des slogans de la grève 2007. Le musicien rajoute : Nous avons notre tactique pour foutre l’usine en grève ! Leur tactique, je la verrai jamais. Jeanne, une militante des Grands, vient faire la morale : Faut pas faire la fête ! dit-elle, ajoutant : Mais discuter avec les ouvriers sur les chaînes pour les convaincre ! Ça jette un froid. À part, je dis à Jeanne : S’ils font ça, c’est pour convaincre à leur manière, qui sait, ça peut marcher ! Je redis ça aux Grands et Petits, ils me rient au nez. Après ça, ils disent qu’ils font confiance aux travailleurs. Qu’ils s’étonnent pas, si j’ai commencé à virer anar définitivement, comité de grève bidon ou pas. […]

 

Mes névroses et le dirigisme trotskiste

 

Mes névroses vous ramènent à la grève : à la réunion du comité ce matin, il est constaté que les limites de la grève sont atteintes dans l’usine, les petits groupes constitués pour convaincre de nouveaux grévistes recrutent de moins en moins de monde. En plus, de nombreux grévistes font grève chez eux. Pour moi conséquence de l’arrêt des fanfares, les ouvriers qui voulaient une grève festive, avaient forcément déchanté. Ils se disaient : avec la fanfare, du monde sortira ! Quand, ils ont vu que leur solution était pas retenue, la grève a été laissée aux professionnels… Plus d’un dira : il est bien naïf politiquement. À Lip, c’était bien l’imagination des ouvriers au pouvoir… À Bagnole-lès-Rancy, le comité de grève était encadré par des militants trotskistes, Grands et Petits confondus, qui faisaient la morale aux ouvriers quand ils étaient pas d’accord avec eux… Dirigisme trotskiste quand tu nous tiens.

 

Je poursuis le monologue intérieur, ça s’embrouille un peu dans ma tête, plus de cinq ans ont passé depuis, bien des événements… Selon le comité de grève, à peu près une semaine et demie après le début des hostilités, les limites du mouvement dans l’usine sont atteintes. Il faut s’adresser aux autres ouvriers des autres usines du groupe. Un car est loué pour aller à la Poisse, la plus grosse usine de la région parisienne. Je dis ça à Bill enthousiaste. Vous êtes pas assez nombreux qu’il me dit ajoutant : le plein a pas été fait dans l’usine ! Vous allez vous faire balader, comme vous l’auriez été avec les Stals !… À ce moment, je diverge avec lui. Comme il avait raison dans ces propos en y réfléchissant après coup… Sur le moment, je lui dis : on peut faire le même coup que Croissant Soissons, il y a quelques années ! Bill rétorque : ils étaient dix fois plus nombreux, bonne balade petit !

 

Nous voilà devant l’usine de la Poisse. Jamais vu une turne aussi grande comparaison à Bagnole-lès-Rancy, presque une PME en comparaison. Nous sommes noyés par l’immensité… L’équipe qui rentre prend nos tracts. Certains nous écoutent, au bout du compte, les ouvriers de la Poisse rentrent au chagrin…

 

L’usine de Saint-Glin-Glin

 

Dans la foulée, les jours précédents, il est décidé d’aller à Saint-Glin-Glin, plus petite boîte Saint-Glin-Glin. La rouge y a fait un carton aux dernières élections professionnelles… Saint-Glin-Glin en taille, c’est grand comme un atelier de Bagnole-lès-Rancy. Là ça sera plus épique. Plus drôle qu’à la Poisse. On y rentre dans la tôle. Je raconte les circonstances : en arrivant la grande porte est fermée. Des grévistes l’ouvrent en force… Je donne pas les noms de ceux qui ont ouvert, because des poursuites ont été engagées, après constat d’huissier. une fois le passage franchi, nous voilà dans la tôle. Le spectacle est grandiose à l’intérieur. Un sacré comité d’accueil est là. le banc, arrière-banc de nervis, mouchards, anti-ouvriers, anti-grève… sont là. Du cent pour cent garantie vermine, la fine fleur de la pourriture. Faut voir avec la haine qu’ils nous regardent. Ils auraient des fusils à la place des yeux, un sacré carnage qu’ils feraient…

 

Ce qui suit, est encore plus hallucinant… Périclès, un portugais, de ma vie jamais vu quelqu’un d’aussi paranoïaque, schizophrène… traité en hosto qu’il a été le Périclès. Je l’évite comme la peste. Je suis pas le seul chez les grévistes et pour cause. Le Périclès y va voir carrément le comité d’accueil, pour montrer ses photos de famille du Portugal. Faut voir le contraste. Un ouvrier qui fait voir ses photos comme un petit enfant montrant des chromos, des nervis médusés voyant tout ça… Y a pas intérêt à le contredire Périclès. Un chef du Montage en a fait les frais, il lui reprochait un boulot soi-disant mal fait. Le chef pourtant dur à cuire avait cru son dernier jour arrivé, après l’avoir vu en furie lui tomber dessus… À trois qu’ils avaient dû s’y mettre pour le stopper. Le chef y doit y réfléchir à deux fois à présent avant de chercher des noises sur le travail. Passé ce spectacle, on s’engage dans les ateliers. Peine perdue, à part les délégués, quelques syndiqués et encore nous soutiennent…une usine de plus qui nous suit pas.

Ça commence à tourner sérieusement en rond la grève. Faut chercher un deuxième souffle, il y a nécessité qu’une autre usine nous suive. le comité de grève a une idée lumineuse : aller voir Carpedo ! Après tout, c’est grâce à nous qu’ils ont gagné ! Ils nous doivent bien ça ! La meute de chiens nous suit, alors qu’on avance au Ferrage… Des fois qu’ils aient faim, des grévistes traînent devant eux des nonos attachés à une corde. Ils doivent tellement saliver à l’odeur des nonos qu’ils voient pas qu’on franchit la porte qui sépare le Ferrage de Carpedo. Ils restent en rade dehors. Dans Carpedo, le cortège avance au cri de : Carpedo, Bagnole-lès-Rancy, même patron, même combat !…. Des ouvriers, des chefs nous voient médusés. Le tournant de la grève approche. Un groupe d’ouvriers Carpedo s’est formé autour de leurs dégueulés. Les pontes syndicaux Carpedo entament un vague discours de soutien à notre grève… Faudra pas attendre plus. Plus tard, je demanderai aux ouvriers de Carpedo pourquoi, ils nous ont pas suivis ? Ils me diront que c’est leurs délégués, qui leur ont dit… Sarcastique, ma réponse : ils vous demandent d’aller vous jeter au fond d’un puits, vous y allez !…

 

Deux semaines de grève, ça sent le roussi, personne nous suit dans le groupe. Carpedo, on les avait bien aidés pour qu’ils gagnent ! Pour nous nada ! Pas même le geste d’une heure de débrayage. Sectarisme tout ça : les syndicalistes de cette tôle sont à la botte des staliniens qui voient bien que la grève de Bagnole-lès-Rancy est politique… preuve définitive de ce que j’avance, Perdraud, leur clancul de secrétaire national. En pleine grève de Bagnole-lès-Rancy, interrogé à la télé sur le fait que le privé bouge jamais. Le seul exemple qu’il donne de boîte du privé qui bouge : deux petites boîtes du Sud-ouest… une grosse boîte en grève, c’est rare, en plus qui demande : la retraite à 55 ans, 300 euros d’augmentation, ça pourrait redonner l’espoir. Les costards-cravates qui dirigent les syndicats, qui sont là que pour donner du désespoir, manger à la table des sinistres… disant : ah Monsieur, tout va bien, on les tient ces salauds de pauvres, passez-moi le caviar !… Sont surtout pas là pour le redonner ! Que non ! Que non !…

 

Le centralisme trotskiste et la naissance d’un anar

 

Le thème des Staliniens, je l’ai balancé à Sorel quand les Grands ont exclu les Petits de leur secte… les Petits avaient protesté que les Grands fassent alliance aux municipales avec les réformistes, les roses caviar, les Staliniens… tout ça contre des places de conseillers municipaux, des plats de lentilles… Sorel me dit : Centralisme démocratique, faut s’y plier ou c’est la porte ! Les bolcheviques avaient fait pire par tactique de Lénine, ils s’étaient alliés avec les Cadets pour avoir des places au parlement tsariste ! Bien que n’étant plus trotskiste mais cent pour cent anar, je lui rétorque : les staliniens sont les ennemis mortels des trotskistes, ils en ont même déjà tué !… Sorel s’arrange pas avec les décades passées à l’usine ; plus il prend de l’âge, plus il vire chef de secte…

 

Les boîtes sous-traitantes de l’usine, qu’on avait aidées dans leur grève, pas une nous soutiendra. SSS boîte de nettoyage qui avait fait grève pour la dignité. Leur patron voulait même pas leur donner des chaussures de sécurité. Pour en avoir, il fallait qu’ils en prennent dans les poubelles. Du haut de son yacht, des chaussures pour leur patron rapiat c’était déjà trop. Il a dû s’en faire des cheveux blancs : en plus, ils demandaient des augmentations de paye. Pour les aider à gagner, on est resté toute leur grève à les soutenir. Dormir avec eux pendant leurs piquets, des fois que les flics Bagnole-lès-Rancy viennent les déloger. Même le dimanche on venait.

 

J’y étais pas ce jour-là, à la peinture. On m’a raconté. Manifestation standard : grévistes SSS, syndicalistes de la boîte, Sorel aux avant-postes. Des cadres dont M. Puta directeur de la peinture sont là, collent Sorel. Il sent une bite contre son cul, il craque demande s’ils ont pas des tendances pédérastiques ! Ça s’envenime. Je passe les détails qui ont été tranchés par une demande de licenciement contre Sorel… les dirigeants des grandes entreprises c’est des : voleurs ! licencieurs ! exploiteurs !… Voleurs, j’affirme encore une fois preuve à l’appui. Les dirigeants de Bagnole-lès-Rancy allaient voler la retraite de leurs mouchards. Lors du dernier plan de départ, la préretraite à 55 ans faut plus la chercher… La préretraite maintenant, ça existe plus. La loi larbin à Clétencourt l’a définitivement ratiboisée. Avant la grève 2007, y en avait encore une, les vieux qui y ont eu droit sont les derniers à partir à 55 ans. Pour le reste faudra crever à la chaîne… Des anciens l’ont ratée à un mois près. Un lot de mouchards anti-rouges, qui nous ont pourri la vie, nous mouchardant en roue libre… allaient la rater, la préretraite. Prétexte qu’ils avaient truqué leur date de naissance pour rentrer dans l’usine. Pour l’avoir à présent, ils sont allés pleurer auprès de leur patron adoré avec leurs vraies dates de naissance. Malgré les services rendus le patron voulait rien entendre. Voyant que leur syndicat de larbin à force de ramper devant la direction est incapable de les défendre, c’est les rouges qu’ils sont venus voir. Des anciens de 82 veulent pas qu’on les aide. Ça se comprend, avec tout ce qu’ils les ont fait chier. Des collègues dont Gilbert se foutaient de ma gueule : ils vous ont pourri la vie et vous allez leur permettre de partir à la retraite, trop gentils, trop cons ! J’apostrophais les délégués maison, quand je les croisais en public : Heureusement, qu’on est là, vous êtes même pas capables de défendre vos syndiqués ! Avec le barouf fait boulevard Bérézinas, dans les journaux, les mouchards auront eu la retraite grâce à la rouge. Cet éclat leur est resté en travers de la gorge… D’après les rumeurs entendues boulevard Bérézinas, le PDG avait demandé la tête de Sorel. Du pain béni les événements de peinture.

Dimanche sur le parking de l’usine où l’on est en nombre. Sorel nous apprend qu’il y aura sûrement une demande de licenciement contre lui. La demande arrive lundi. Heureusement dans la soirée, SSS trouve une sortie honorable à sa grève, leur patron rapiat devra se serrer un peu la ceinture sur son yacht. Il bouffera un peu moins de caviar dans la semaine, les balayeurs SSS offriront un peu plus de jouets à leurs gosses… La grève SSS a été plus qu’épique. Des nuits à dormir avec eux à même le sol. Dans des coins sordides. Ils en ont du mérite. Certains d’entre eux avaient sûrement pas de papiers. Malgré ça, ils ont tenu tête et niqué un des plus gros patrons de France. Leur déléguée niveau vermine, elle tenait le haut du pavé… plus d’une fois, je l’ai chopée la Hortansine après avoir fait la navette avec les chiens de garde, le DrH du Montage, ils étaient là quasiment 24 heures sur 24. Après voir pris ses consignes chez ce beau linge, elle venait démoraliser les grévistes… Un jour l’un d’entre eux, un Hindou, après sa venue, voulait reprendre le travail. il a fallu que je lui dise que, pour ses enfants, il pouvait pas faire ça, rentré chez lui après deux semaines à dormir loin de chez lui, la queue entre les jambes…

Je suis à bout, les Grands, comme je suis plus de leur bord, ils m’auront bien pourri la vie. Rien que dans la grève SSS, ils étaient pas nombreux à me parler, me dire : Bonjour, ça va, avant de me dire : C’est ton tour de dormir avec les grévistes ! Pour demander quelque chose, y en avait toujours un pour venir me voir. Pour le reste nada la pougnette. Cerise sur le gâteau, à leur fête où malgré tout, j’y bossais gratos. Quand je les croisais, j’étais jamais dans leur champ de vision. Par contre à Hortansine, ils lui déroulaient le tapis rouge quand elle venait. Je me répète, j’ai pas le choix, tout net, je le dis : avec des comportements comme ça, qu’ils viennent pas s’étonner que je sois devenu cent pour sang anar ! Anti-trotskiste ! Anti-bolchevique ! Anti-marxiste ! Anti-communiste !… Marginal de la politique ! C’est eux qui m’ont marginalisé, au début en me parlant plus car j’avais rejoint les Petits. J’en ai souffert d’être isolé. Maintenant la marginalité politique, syndicale est devenue ma marque de fabrique. Je préfère les laisser entre eux…

 

Bill qui était un de leurs dirigeants, je délire, m’emporte, vitupère… J’ai pas le choix en y réfléchissant, je peux pas faire autrement. Les Grands, Petits, i’ étaient bien contents quand Bill passait ses week-ends, ses vacances… venait après son boulot chez Renault pour s’occuper de leur terrain. Il m’avait dit leur avoir même fait le tout-à-l’égout. Je dénonce des saloperies faites par des gens qui disent avoir vocation à changer le monde… À part la grande foule de ses vrais amis, ils étaient pas nombreux les Grands et les Petits de tout poil à son enterrement, à venir le voir quand il était atteint d’un cancer… après ça, ils peuvent parler de changer le monde. C’est des gens comme ça qui vont changer le monde ?

 

Bill a osé poser les bonnes questions en se demandant : Trotski, les trotskistes… se sont peut-être trompés sur l’analyse de la situation actuelle ? C’est un acte de salubrité de se poser des questions comme ça. Pour qu’une organisation sombre pas dans le stalinisme des plus sectaires.

 

Clarette Lavilliers, Tansancenot, la mère Marchais ancienne ministre des Sports…

 

Sorel, il se voyait viré. Il en aura fallu des débrayages, des prises de paroles sur le parking, des soutiens politiques : Clarette Lavilliers, Tansancenot, la mère Marchais ancienne ministre des Sports. De la part des autres syndicats, il aura eu son lot de calomnies… Grâce au battage fait, il aura réussi à sauver sa tête. Voyant les soutiens, Bagnole-lès-Rancy avait certainement pas voulu prendre le risque d’un licenciement politique…Maintenant, je m’interroge : pourquoi au bout de trois semaines de conflit, le mouvement a continué encore trois semaines ? Je raconte la fin des événements tels qu’ils reviennent à ma mémoire… Ce qui a relancé la grève après notre passage chez Carpedp, ça aura été une grève chez les sous-traitants de sièges directs pour l’usine… À Trifouille-lès-Compiègne. J’y suis allé une fois à Trifouille-lès-Compiègne voir leur grève. Toute leur boîte était à l’arrêt. Si ma mémoire me fait pas défaut, 80 pour cent de l’usine en grève. En discutant avec les grévistes, j’avais constaté quelque chose de pas minime, c’est qu’ils voulaient pas la fusionner avec nous leur grève. au contraire des patrons, pour les ouvriers, c’est chacun pour soi… Tout ça me fout un coup au moral, confirmé quand ils obtiendront ce qu’ils voulaient… les patrons : i’ sont pas cons ! Tout sauf abruti, un patron !…Pour diviser un mouvement, il est capable de lâcher quelque chose même temporairement, il sait qu’après, il niquera… C’est ce qui arrivera, aux ouvriers de Trifouille-lès-Compiègne quand, quelques mois après leur conflit, il leur dira : votre usine est fermée !… Pas con un patron, politique un patron !

 

Après ces événements, pour moi la suite de la grève ça devient vraiment du n’importe quoi. Trois semaines de n’importe quoi. Je raconte la fin: au comité de grève, ça s’écharpait limite les mains. Il y avait les grévistes qui voulaient bloquer en force les chaînes, stopper d’autorité l’usine… Il y avait ceux dirigés par les Grands et Petits trotskistes qui voulaient continuer à l’extérieur de l’usine… À ce moment, il y avait de moins en moins de grévistes qui venaient à l’usine. C’est un fait beaucoup qui venaient voulaient bloquer. Des syndicalistes d’Ouest-Car arguaient dans ce sens. Je me souviens d’un délégué Ouest-Car chaque fois qu’il intervenait en comité de grève c’était pour balancer tout le temps une rengaine identique : pour Ouest-Car, c’est jusqu’au bout !… Jusqu’au bout de quoi, il était bien incapable de le formuler. Passé les avatars du refus de la musique, à y réfléchir à présent : ceux qui faisaient grève chez eux, s’étaient mis en maladie… C’est qu’ils voulaient reprendre le travail, mais osaient pas s’exprimer. La pression du «jusqu’au bout» est la plus forte, la grève continue. Elle change de phase, les Grands et Petits emportent le morceau dans des réunions du comité de grève de plus en plus houleuses. Il y a des échanges de propos de plus en plus violents. Fallait voir l’électricité qui régnait en ces moments…

 

La grève, je la voyais perdue, j’étais pas le seul, Sorel m’avait dit : on va droit dans le mur ! À la télé malgré que Perdraud faisait pas de publicité, les JT commençaient à en parler. Même au 20 heures d’antenne1, PPD en parlait de la grève de Bagnole-lès-Rancy.

 

La mère Impériale en campagne présidentielle découvre des ouvriers !

 

Conséquence de tout ça, la grève va s’inviter dans la campagne des présidentielles qui vient tout juste de commencer. Des candidats vont venir nous voir sur le parking : Tensansenot, Clarette Lavilliers, le coupeur d’OGM, Adèle Aurore Marchais… Cerise sur le gâteau : la mère Impériale, future finaliste de la compétition… elle avait l’air de sortir de la messe, la mère Impériale, de découvrir que les usines c’est pas Neverland : Comment les patrons, ils sont méchants avec les ouvriers ! Because campagne électorale, elle se fait prendre en photo avec des grévistes. Elle va même jusqu’à nous demander devant les caméras d’antenne 1 si on l’aime notre entreprise ? À plusieurs nous répondons : on s’en fout ! on s’en fout ! Dans le brouhaha, il paraît que ce qui a été entendu à la télé c’est oui ! Faut dire que beaucoup étaient sous le charme de l’Impériale…

 

Maintenant, vient le temps des interrogations, des bilans… Pourquoi la grève a duré trois semaines encore ? les Grands et Petits savaient qu’elle était perdue, la grève. Qu’elle allait droit dans le mur. Deux hypothèses s’offrent à moi : Continuer de permettre aux ouvriers d’apprendre à diriger leurs luttes, ou bien inscrire la grève de Bagnole-lès Rancy dans le contexte de la campagne présidentielle ? Des trotskistes s’y présentaient, c’était l’occasion de montrer aux électeurs, aux citoyens qu’ils dirigeaient des luttes… Le pire, peut-être les deux. La grève de Bagnole-lès-Rancy aura été l’exemple de la schizophrénie trotskiste. Toutes les activités militantes tournées vers les élections pour au bout du compte faire 0,5 pour cent des voix…

 

Force est de dire qu’avec les circonstances qui vont suivre… je voyais des catastrophes arriver, la fin du syndicat… pire encore la fin des luttes à Bagnole-lès-Rancy. J’étais pas le seul. Au vu de la maîtrise des événements, les trotskistes : Grands et Petits, ils auront bien joué avec le feu. Plus d’un voyait la situation compromise, eux compris. Tout le monde va comprendre, ça va s’enchaîner en quatrième vitesse comme une farandole, un rigodon, une mauvaise suite… La campagne électorale est là, la grève passe en phase ballade des ouvriers pour collecter de l’argent pour payer la lutte. Il y aura même la création d’une carte de grévistes à pointer tous les jours pour toucher l’argent des collectes. Pour cela des délégations de grévistes seront envoyées dans les usines du groupe, chez Renault, dans les autres boîtes du 93, les mairies… Je peux pas m’empêcher de raconter l’épisode Renault, usine d’ingénieurs. Ça éclaire le reste de comment ça s’est fait les collectes. En gueulant à l’entrée, la solidarité aura pas beaucoup payé. Dans les locaux syndicaux, chez les notables de la boîte, c’est autre chose : une réception cinq étoiles avec rosbif, sauciflard, pâté de campagne du meilleur, ricard, whisky… ils savent recevoir, les syndicats de Renault. À l’appui un gros chèque pour soutenir la grève… un constat s’impose : les patrons tiennent les syndicalistes isolés dans leurs locaux syndicaux comme les tuniques bleues tenaient les indiens dans les réserves, tranquilles à picoler du whisky du matin au soir…

 

Les événements s’enchaînent, la farandole accélère… le gros des réunions du soir, c’est à présent : savoir combien ramènent les collectes aux caisses du comité de grève. Son extension n’est plus à l’ordre du jour, sauf encore pour quelques hurluberlus d’ouvriers qui demandent encore avec insistance, violence, passion… que la grève soit refaite dans l’usine. Pour l’instant, ils sont pas encore écoutés. Ça viendra avec la fin de la grève d’une manière surprenante…accélération de la farandole… Dans les derniers jours de la grève, il y aura du collectage de fric tous azimuts… Je passe les détails. La mairie de Paris aura même eu droit à notre visite massive, avec manifestation en plein Forum des Halles. Au nombre qu’ont était, c’était plus noyé qu’on était, de vrais naufragés d’une grève dans Paname… Les gens sont méchants, des ouvriers voyant qu’on allait voir Jean Delannoy, maire de Paris, se sont pas empêchés de dire qu’on allait voir le phoque de la capitale…Pittoresque qu’elle aura été cette journée dans les beaux quartiers, les touristes, divers badauds… auront vu devant le parvis de l’Hôtel de ville, de ses environs… des ouvriers demander de l’argent pour soutenir une grève. Au comité de grève, même si l’argent y rentre, la tension monte de plus en plus. Les syndiqués rouges, on apprend que les instances vont enfin venir écouter nos remarques, nos protestations, nos attentes…

 

Depuis le temps qu’on les attend… Ce qu’ils prennent dans la gueule au local… pire que de l’électricité dans l’air qu’il y a. Les répliques que nous donnent les pontes syndicaux illustrent le professionnalisme de la vermine… Ils doivent servir les mêmes baratins dans d’autres usines en grève. Les cinq notables en guise de bienvenue reçoivent un: vous êtes pas venus beaucoup nous aider pendant la grève ! Du fric de soutien la couleur en est absente ! Si vous nous apportez pas de l’aide conséquente, ça sera la fin des luttes à Bagnole-lès-Rancy ! Les grévistes vont nous cracher à la gueule !… Parmi ceux qui gueulent le plus, il y a Azouz Bakouch. En me souvenant de tout ça, je suis étonné. À part moi, les Grands à cette réunion, hormis donner le bilan de la grève, ils ont pas beaucoup gueulé. Gerbier était pas à la réunion, il y aurait été, le connaissant comme je le connais, il les aurait encore remis à leur place pire que moi. Sorel est même venu après la réunion pour me faire la morale, que j’aurais pas dû m’emporter… Comme je te l’ai envoyé valdinguer. La fin de la réunion devient de plus en plus électrique, Larchaoui se met à hurler, il tape de grands coups sur la table : vous abandonnez les immigrés ! En 82 Krasuk est venu nous soutenir ! Perdraud sa gueule on l’a jamais vue ! Il parle même pas de nous à la télé !… Le seul engagement que les pontes transformés en punching-ball nous donnent, c’est que Perdraud en personne viendra nous soutenir. Pour le reste, que se soit la fin du syndicat à Bagnole-lès-Rancy, qu’on finisse sur la paille, que nenni, que nenni, ça fera des emmerdeurs en moins…

 

Le chef syndical Perdraud

 

Perdraud au parking assène son discours ultra-réformiste, s’il doit y avoir des augmentations ça sera 300 euros bruts. Il précise bien bruts. Entendant ça, je gueule comme un malade : Net ! Net ! Net !…. Il se retourne vers moi, croyez-vous que l’enflure va changer son slogan pour faire plaisir à un gréviste. Nada, il précise toujours brut. À ce moment, je me mets à l’insulter : Vendu ! Bouffon!… Il faut que Larchaoui qui aime pas les bureaucrates comme moi me dise d’arrêter, vis-à-vis des grévistes, ça la fout mal qu’un délégué insulte son secrétaire national ! Larchaoui me sort ça, pour me convaincre.

 

Plus vite la farandole… la fin de la grève arrive, dans les dernières sorties opérées c’est : Paris ! Paris ! Paris !… on va en bouffer du Paris. À commencer par la médiation de la dernière chance au ministère du Chômage. Une délégation y est reçue, parmi les discussions qu’on a en attendant les camarades la certitude que les noms de tous les grévistes doivent être sur le bureau du ministre est plus qu’évoquée…Les grévistes sur les Champs-Élysées, fallait nous voir manifester, pour nous rendre aux dernières négociations, boulevard Bérézinas, à quelques centaines de manifestants sous l’arc de triomphe. La fin de la grève approche, la fin de la campagne présidentielle aussi. En pleine campagne électorale, les Grands apprécient pas beaucoup que je dise aux autres grévistes : Ça sert à rien de voter ! Seule la lutte compte ! Ils vont le dire à Gerbier. Ce dernier réplique tonitruant : Si vous avez quelque chose à dire, allez voir la personne concernée ! Pas un viendra m’exprimer son mécontentement…

 

Je raconte les derniers barouds d’honneur du conflit. Dans un des derniers comités de grève, Sorel finit par craquer, il écoute enfin les arguments des ouvriers qui demandent de tenter une dernière manif dans l’usine. Sorel prévient : il faudra pas venir pleurer s’il y a des demandes de licenciements en cas de provocations ou débordements !… Le matin de la manif dans l’usine, je vais saluer comme tous les jours mes collègues de boulot, leur donner des nouvelles de la grève. Si la grève a tenu six semaines, c’est pas seulement dû à la détermination des grévistes, à la campagne électorale… Dans les premières semaines, les plus importantes, la direction a pas réussi à avoir le nombre suffisant de volontaires du Ferrage pour aller faire le boulot des grévistes au Montage. Pour ceux qui ont accepté le sale boulot, j’aurais honte de me regarder dans une glace. la honte, ils l’ont déjà envers leurs collègues de travail. Aussi de la manière qu’ils sont transportés au Montage : tous les matins en fourgon comme des chiens… Les collègues, à qui je vais serrer la main tous les jours, m’ont à chaque fois précisé fièrement avoir toujours refusé d’y aller au Montage… Certains ont eu des échanges musclés avec les chefs : Mon poste, il est ici ! Je bouge pas d’ici ! Je suis pas un mouchard !… Si je vais au Montage, ça sera pas pour travailler mais pour casser, faire grève !… Dans une usine comme Bagnole-lès-Rancy, c’est pas rien de tenir des propos comme ça au chef. Là-bas la hantise des ouvriers aura toujours été : Si tu déplais à ta hiérarchie, s’ils m’ont dans le collimateur, j’aurais plus jamais d’augmentation… Grillé que je serais ! Les collègues avaient bien rigolé quand je m’étais pointé le jour qu’on avait été voir les grévistes à la Poisse… Ce jour-là, le manche à couilles de chef de l’époque… disait n’importe quoi pour discréditer les grévistes, comme quoi : Nous avions tenté de rentrer en force à l’usine de la Poisse ! Ils nous avaient refoulés comme des malpropres, à la Poisse ! Preuves à l’appui, ils montraient les chiffres de production de la Poisse… le chef voit ma gueule arriver dans la salle. Il devient tout blanc. Je m’emporte : avant de dire n’importe quoi… faut vérifier ce qu’on dit, nous n’avons jamais tenté de rentrer à la Poisse ! On a tout juste été dire bonjour ! Notre grève, est une grève propre… nous ne terrorisons personne ! Arrêtez de dire ça aux ouvriers !… Le chef se met à trembler. Quand je pars, j’entends des applaudissements…Le jour de la manif dans l’usine, des collègues me disent pour certains : Nous avons honte de travailler alors que vous êtes sans paye depuis plusieurs semaines ! Pour la manif dans l’usine nous viendrons ! Je raconte ça à des grévistes, réponse : ils disent toujours ça, pour se donner bonne conscience ! L’après-midi, ils sont là. Une preuve de plus qu’il était peut-être pas nécessaire de balader tous le temps les grévistes en dehors de l’usine. Il y aurait peut-être eu possibilité d’arrêter l’usine. À 3000 le rapport de force est pas le même pour s’adresser aux autres ouvriers du groupe.

 

Comment je suis devenu un petit-bourgeois individualiste

Ces dilemmes auront fini par me faire craquer. Finir la grève dans la marginalité définitivement… J’étais pas d’accord : il aurait fallu d’abord tenter d’arrêter l’usine ! À l’extérieur, au nombre qu’on était, nous étions des pitres, des guignol’s band !… la grève je l’aurai finie dans le désarroi le plus total, la souffrance la plus totale…L’inconvénient avec les trotskistes de tout poil, c’est qu’une fois qu’ils décident une politique, ils écoutent plus les réticences de leurs militants. Pour eux, faut appliquer le centralisme démocratique : D’accord, pas d’accord, tu fais ce qui a été décidé ! Ou alors un véritable hallali s’abat sur toi. Jusqu’à ce que tu craques avec des noms d’oiseaux : C’est un petit-bourgeois ! Il est individualiste ! Il est démoralisé !… Comme si le fait d’être démoralisé venait de ce que l’on suive plus leur politique. J’aime la phrase que prononce Gérard Blain dans le film Jusqu’au bout de la nuit (1995) : Face à la société, je suis en état de légitime défense !… Cette phrase je me l’étais appliquée à moi-même en me disant : en rentrant dans l’usine, je suis en état de légitime défense ! Après la grève ce sera aussi le dimanche, que cette phrase sera d’actualité, le temps que j’irai encore à mes réunions de cellule, tellement c’était tendu… tellement, j’étais plus d’accord avec eux…

 

Bien qu’étant plus d’accord avec les Petits je les ai toujours défendus envers les Grands. En les quittant si j’avais arrêté d’être solidaire avec eux, peut-être que ça m’aurait permis de souffler un peu ? Les Grands auraient peut-être arrêté de m’isoler, de me regarder de biais parlant avec moi. À trop regarder de haut les militants qui sont pas d’accord avec eux, ils vont finir par nous attraper le vertige des imbéciles. Un militant des Grands un jour me voyant seul, marginal, se met à rigoler, chantant : Quand t’es dans le désert ! Quand t’es dans le désert ! Il croyait que j’étais encore avec les Petits qui venaient de se faire exclure. Je dis au vocaliste : Si ça t’arrivait à toi d’être viré après des années de militantisme, tu ferais quoi ? Tu serais bien seul ! Un silence et une émotion apparaissent.

 

La fin de la farandole va bientôt arriver. Après le succès relatif dans l’usine, il est décidé de tenter une grande manif dans paris. L’initiative vient pas des trotskistes mais d’un gréviste isolé. Nous voilà un groupe sur le parvis de la gare du Nord à s’adresser aux gens qui rentrent le soir du travail… À l’un d’eux qui me demande pourquoi on appelle à manifester samedi ? Je réponds : pour la retraite à 55 ans ! 300 euros d’augmentation ! Comme un Martien, qu’il me regarde. Je m’emporte contre un sympathisant des Grands. Il prend l’activité à la rigolade alors qu’il veut toujours être en grève. Pour une fois je deviens méchant, c’est rare pour être souligné : Si tu fais pas le forcing pour qu’il y ait du monde samedi à la manif, que c’est un bide, plus que nos yeux pour pleurer qu’il nous restera !

 

Fin de grève au bistrot

 

Même si j’ai fini la grève au bistrot. Pour la fin Gerbier dira de moi : il était tout le temps bourré ! Bien que j’avais démissionné de la grève. Le matin en arrivant à 7 heures à l’usine, il m’arrivait d’attaquer à l’absinthe. Les activités pouvant relancer l’espoir, jusqu’au bout je les aurais faites. Comme un dimanche matin passé sur le marché de ma ville à vendre des places pour le concert de soutien à la grève qui allait être organisé. Comme il fallait s’y attendre la manif du samedi est un bide total. Les partis se disant de gauche, avec les salariés, aux abonnés absents qu’ils sont ce jour-là. Idem pour une certaine extrême gauche : le destructeur d’OGM, Tansancenot, la mère Marchais… d’autres impératifs qu’ils avaient… pour parler de leur attitude, c’est pas le mot démission qu’il faut employer, mais trahison.

 

La rapine allait accéder au pouvoir. La manif de Bagnole-lès-Rancy pouvait constituer un début de protestation à l’arrogance, aux attaques qu’il allait faire contre le monde du travail. Qu’ils soient pas venus, tout est dit. Les syndicats non plus, ils étaient pas là. À part ça, ils sont là pour défendre les salariés.

 

Les choses sont claires à présent, dès lundi c’est reprise qu’il faut parler. L’appel à la reprise se fera sans moi. Je tire quand même mon chapeau aux Grands et Petits trotskistes. La reprise avec vote se fera sans trop de casse. Les irréductibles du jusqu’au bout auront été neutralisés ou repris en main. Le vote de reprise s’est quasiment fait à l’unanimité… La seule, l’unique question que je me pose, je suis pas le seul à me la poser : pourquoi l’ont-ils pas proposée avant la reprise ?

 

De Cyd Charisse à l’esprit de lutte

 

Ce jour-là plutôt que voter la fin d’une grève dont je savais depuis longtemps qu’elle était finie. J’ai préféré une part de rêve en allant voir au cinéma Party Girl (1958) avec Cyd Charisse et Robert Taylor, deux acteurs cinq étoiles. Dans la foulée, j’ai regardé également Le Port de la drogue (1953) de Samuel Fuller. Polar américain anarchiste des années 50, d’un anti communisme hallucinant. Un miroir paranoïaque de ce que je vivais en cette fin de grève. La catastrophe a été évitée. Malgré six semaines de grève et une défaite, l’esprit de lutte est maintenu dans l’usine…

 

* Les sous-titres ont été ajoutés pour cette version, afin de clarifier la lecture des extraits choisis.